Ces jours-ci, une annonce publicitaire à la télévision attire mon attention. Une femme fait du jogging tout en admirant la nature. Devant la caméra, elle s’arrête et promène son regard sur le paysage. Ses yeux sont rayonnants. Son sourire est paisible. Elle se chuchote à elle-même : «Je ne veux pas que ça arrête…» Une femme sereine, un bonheur au présent. Un bonheur qu’elle veut durable.
Je nous souhaite cette douce ivresse. Quelque chose de simple, en harmonie avec la nature. Mais surtout en harmonie avec les autres et avec soi-même. Nous pouvons chercher à nous distinguer. Nous avons droit à notre personnalité, à ces petits riens qui nous différencient des autres. Mais nous ne connaîtrons le bonheur qu’en nous conjuguant à même les autres et le cosmos. Nous sommes faits pour des alliances.
Retirons-nous si nous le désirons, mais ne fuyons pas. Retirons-nous dans la solitude pour mieux nous retrouver et retrouver les autres. Les premières lignes du livre de la Genèse le disent clairement : «Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul» (Genèse 2, 18). Nous sommes faits les uns pour les autres et les uns par les autres. Nous naissons les uns des autres. Ce regard que l’autre projette sur moi me donne d’exister pour lui. Il m’appelle. Cette salutation fait en sorte qu’on me reconnaît et qu’on m’accorde le droit de parcourir le paysage occupé par celui ou celle qui me salue. Cette parole qu’on m’adresse me sort de l’anonymat. Elle m’invite au dialogue et, qui sait, à la communion peut-être…
L’harmonie avec tout ce qui nous entoure nous donne de vivre au présent. Elle nous fait dire : «Je ne veux pas que ça arrête»! L’avenir peut me réserver d’agréables surprises. Peut-être même que m’attendent des bonheurs plus enivrants que celui que je vis présentement. Mais l’avenir ne sera vrai que dans la mesure où j’assume pleinement le présent.
Ça va quand le bonheur nous habite. Ça va également quand les jours sont sans soleil. Je ne parviendrai à l’avenir qu’en traversant le présent. C’est la logique la plus élémentaire qui soit. Le jardinier ne pourrait rien récolter si d’abord il ne prenait pas le temps de semer et d’arroser. Peut-être aurais-je parfois le goût de fuir la potion amère que la vie me demande de boire. Contourner n’est jamais une solution, surtout pas une bonne solution. Le mauvais temps nous rattrape toujours. Parfois même, ses vents sont plus cinglants au retour. Vaut mieux rencontrer la vie à mesure qu’elle s’étale devant nous. Et nous rassurer en pensant que derrière les obstacles se cache la joie des victoires et des dépassements.
En français, le mot présent n’est pas utilisé seulement pour désigner le temps que nous vivons. On l’emploie aussi comme synonyme de cadeau. Peut-être veut-on dire que le temps que nous sommes en train de vivre est déjà un cadeau à déballer pour en goûter tout le mystère. «Se mettre au monde/ à chaque jour, à chaque instant/ pour simplement/ redevenir son propre enfant.» (Sylvain Lelièvre, «Venir au monde», dans Entre écrire, Montréal, Nouvelles éditions de l’Arc, 1982, p. 225)