Le bonheur selon Dieu
Jésus descendit de la montagne avec les douze Apôtres et s’arrêta dans la plaine. Il y avait là un grand nombre de ses disciples, et une foule de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon, qui étaient venus l’entendre et se faire guérir de leurs maladies. Ceux qui étaient tourmentés par des esprits mauvais en étaient délivrés. Et toute la foule cherchait à le toucher, parce qu’une force sortait de lui et les guérissait tous. Regardant alors ses disciples, Jésus dit : «Heureux, vous les pauvres : le royaume de Dieu est à vous ! Heureux, vous qui avec faim maintenant, vous serez rassasiés ! Heureux, vous qui pleurez, vous rirez ! Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous repoussent, quand ils vous insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là soyez heureux et sautez de joie, car votre récompense est grande dans le ciel. C’est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes. Mais, malheureux vous les riches. Vous avez votre consolation ! Malheureux vous qui êtes repus maintenant, vous aurez faim! Malheureux vous qui riez maintenant, vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! Malheureux êtes-vous quand tous les hommes disent du bien de vous : c’est ainsi que leurs pères traitaient les faux prophètes.
Commentaire :
La question de l’épanouissement personnel est aujourd’hui préoccupation essentielle. Pour « être bien dans sa peau », l’homme moderne mise davantage sur le quantitatif au détriment du qualitatif. La qualité de l’existence inspire toute revendication. Ce qui n’est pas hélas ! dans les possibilités de tous et de chacun. Les sens, les passions, le prestige, le pouvoir, le renom, l’argent, etc., définissent aujourd’hui les coordonnées du bonheur. L’évangile des Béatitudes décrit le bonheur selon Dieu. L’éducation nous a laissé quelques mauvais souvenirs de ce bonheur selon Dieu : il semble, nous a t-on appris, qu’il soit fait de renoncements, d’oubli de soi, de souffrances mêmes. L’évangile du bonheur : l’évangile de la souffrance, de la croix ?
Lorsque nous considérons les exigences du bonheur selon Dieu, nous anticipons moult renoncements incontournables.
Dans la lumière de l’évangile, il semble évident qu’un bonheur sans le bonheur des autres soit inconcevable. A l’encontre de tout ceci, Jean-Paul Sartre écrivait ( Huit-clos) : « L’enfer c’est les autres », ce à quoi Gabriel Marcel réagissait : « Eh bien pour moi, les autres c’est le ciel ». Les jeunes tellement ouverts au bonheur ne peuvent vivre sans être ensemble. L’expérience prouve hors de tout doute que cette acceptation inconditionnelle de l’autre ne peut se réaliser sans mort à soi-même, « une déchirure de l’amour-propre » comme l’écrivait Louis Lavelle. Il ne peut y avoir de bonheur sans pauvreté, sans renoncement. « Pour que deux êtres se rencontrent, il faut que deux êtres se fuient et s’éloignent de leur propre centre .» (Louis Lavelle) « Bienheureux les pauvres » ceux et celles qui ont un cœur de chair et ne mettent pas leur confiance dans la richesse, la possession, mais sont habilités à recevoir des autres.
Qui se sent encore appelé à vivre de ce bonheur selon Dieu, tel que proclamé par Jésus Christ ? Le mot de l’apôtre Jean revient à la mémoire : « Au milieu de vous il est quelqu’un que vous ne connaissez pas » (Jn.26). Pour se faire proche de nous et en somme tout recevoir de nous, Jésus « n’a pas retenu le rang qui l’égalait à Dieu ; il s’est fait homme, il a pris la forme d’esclave et s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix. » (Phil.2). Ce faisant, il voulait transfigurer toute notre existence humaine. La lecture des Béatitudes risque de prendre à nos oreilles un sens tout à fait contradictoire. Avec toutes leurs exigences – car il ne s’agit point de demie mesure – les béatitudes ne défigureront-elles pas notre existence ? La compréhension que nous en avons d’une part et l’exemple de Jésus Christ d’autre part semblent se contredire.
Le bonheur selon Dieu et Jésus Christ se vit avec d’autres et pour d’autres. Il se vit en communauté d’attention à l’autre et de tension vers l’autre. Résumer cet évangile des Béatitudes consisterait à remettre en question tout ce qui dans nos vies fait obstacle à l’amour. Aussi bien dire que ce bonheur selon Dieu n’est pas exclusif aux chrétiens ; il concerne toute personne qui ose se dépasser pour aimer : « Qui perd sa vie la trouve » (Jn.12.25) Le dessein de Dieu consiste à redonner à l’humanité le bonheur perdu au Paradis