1 Heureux qui est absous de son péché,
acquitté de sa faute!
2 Heureux celui à qui le Seigneur
n’impute aucun tort
et dont l’esprit est sans fraude!
3 Je me taisais et mes os se consumaient,
à gémir tout le jour;
4 la nuit, le jour,
ta main pesait sur moi;
mon cœur était changé en un chaume
au plein feu de l’été.
5 Ma faute, je te l’ai connaître,
je n’ai point caché mon tort;
j’ai dit : j’irai au Seigneur
confesser ma faute.
Et toi tu as absous mon tort,
pardonné mon péché.
6 Aussi chacun des tiens te prie
à l’heure de l’angoisse;
que viennent à déborder les grandes eaux,
elles ne peuvent l’atteindre :
7 tu es pour moi un refuge,
de l’angoisse tu me gardes.
De chants de délivrance tu m’entoures.
8 Je t’instruirai,
je t’apprendrai la route qu’il faut suivre,
les yeux sur toi,
je serai ton conseil.
9 Ne soyez pas le cheval,
le mulet privé de sens,
il faut rêne et frein
pour brider leur fougue,
(sinon nulle approche pour toi).
10 Nombreux sont les tourments
réservés à l’impie,
mais qui se fie au Seigneur,
la grâce l’entoure.
11 Ayez la joie dans le Seigneur,
exultez, les justes,
jubilez, tous les cœurs droits!
« Heureux… oui, heureux » : voilà un psaume qui s’ouvre par la même béatitude, proclamée deux fois en mots différents (versets 1-2). Pas de plus grand bonheur que de se savoir pardonné : cette béatitude dit à l’avance le dénouement de l’expérience qui sera évoquée dans la suite. Le priant sait de quoi il parle, car ce bonheur, il ne tardera pas à le révéler, il en a fait lui-même l’expérience (v. 3-5) et il souhaiterait le voir partagé par tous (v. 6-10).
À aucun moment, il n’avait songé à se justifier, rongé dans sa conscience : « mon tort, ma faute, mon péché», répète-t-il à deux reprises (v. 1 et v. 5). Pourquoi alors avoir tant tardé à l’avouer ? « Je me taisais…» (v. 3) Était-ce le sentiment d’être allé trop loin, d’avoir dépassé les bornes? Toujours est-il, il s’en souvient maintenant, qu’il s’est senti comme écrasé par un poids trop lourd, accablé par sa misère, pourchassé en permanence par la crainte du reproche ou du rejet : « la nuit, le jour, ta main pesait sur moi » (v. 4). Cette période éprouvante qu’il a traversée, il l’a vécue comme un temps d’aridité insupportable : « j’étais comme le chaume brûlé par le soleil ».
Finalement, il s’est décidé : « J’irai au Seigneur confesser ma faute » (v. 5). Que s’est-il passé exactement? De même qu’il ne dit rien du péché qui l’accablait, il ne révèle rien non plus de la démarche qui lui a rendu la paix. Est-ce à l’intérieur, au fond de son cœur, que tout s’est joué? Ou bien sa résolution s’est-elle traduite dans quelque démarche concrète? Est-il allé au Temple offrir un sacrifice? S’est-il joint à d’autres pénitents pour déverser devant Dieu sa tristesse et lui dire son désir d’en sortir ? Le résultat seul est dévoilé, assuré et libérateur : « Et toi, tu as absous mon tort ». Pourquoi avoir tant tardé, pourquoi avoir tant hésité, puisque l’inespéré s’est produit aussi simplement, sans négociation et sans condition : « tu as pardonné mon péché »?
Alors qu’il avait tant à dire sur l’expérience antérieure à sa démarche, le priant ne dit plus rien maintenant du soulagement qui l’a suivi ni du sentiment de libération qu’il a ressenti. Ou plutôt, comprend-on, c’est ici qu’il faut remonter aux cris de bonheur du début : « Heureux qui est absous de son péché! Heureux celui à qui le Seigneur n’impute aucun tort! »
L’histoire n’est-elle pas complète? Tout ne pourrait-il s’arrêter là? Cela suffirait pour évoquer une autre histoire : « Je me lèverai, j’irai vers mon père et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne mérite plus d’être appelé ton fils » (Lc 15,18-19)? Puis, dans la suite encore, la même histoire faisant part elle aussi d’un pardon, tout aussi empressé et inconditionnel : « Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié; il courut se jeter à son cou et l’embrassa tendrement » (15,20).
Que vient faire la seconde partie du psaume? Et quelle est exactement la personne qui s’y exprime? Sans doute est-ce la même qui prolonge sa prière, en dégageant les leçons de son expérience.
Du moins est-il ainsi au début (v. 6-7) : ce que le priant a vécu, lui qui a été tiré de son angoisse, il exprime la certitude que tous les croyants peuvent le vivre aussi. Dieu ne peut-il pas faire pour chacun ce qu’il a fait pour lui-même? Tous ne peuvent-ils trouver en lui un refuge, quelle que soit la cause de leur angoisse?
Après quoi, en faisant parler Dieu lui-même, ce croyant pardonné rend compte de ce qu’il a saisi de l’attitude de ce dernier. C’est comme s’il s’était entendu dire : « Reprends la route et compte sur moi. Je serai là pour te soutenir » (v. 8). Il comprend en même temps quel a été son tort : cette attitude rétive dans laquelle il s’est enfermé tout d’abord, rongé par le péché. C’est comme s’il entendait Dieu servir à tous la mise en garde qu’il s’est senti adresser à lui-même : «Ne soyez pas avec moi comme des chevaux, fougueux et indépendants, ou encore comme des mulets, rétifs et stupides » (v. 9).
Le psaume avait commencé par une proclamation de bonheur. Il s’achève par une convocation à la joie : « Ayez la joie dans le Seigneur, exultez, les justes » (v. 11). La joie du pardon, qui fait remonter des bas-fonds de la misère : « Qu’ils dansent les os que tu broyas », comme le proclame un autre psaume (Ps 51). La joie de la communion, après avoir éprouvé l’exil de la rupture. La joie de la vie, après avoir frôlé un moment les ombres de la mort : « Il fallait bien festoyer et se réjouir : ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie » (Lc 15,32).
fr. Michel Gourgues, o.p.