Le théologien et expert à Vatican II, Gregory Baum, présente, dans Étonnante Église, une sorte de bilan de sa réflexion sur ce que la tradition appelle la «doctrine sociale de l’Église». Le ton est serein et agréable sur un sujet qui ne manque pas d’être explosif à certains moments. Les idées sont claires. Notons-le aussi: la traduction est excellente.
Une Église en train de se convertir
Un premier chapitre décrit la conversion des autorités de l’Église aux droits de la personne. «Désormais, dans l’enseignement officiel de l’Église, les êtres humains sont perçus comme des sujets historiques responsables de leur propre vie et de leur société» (p. 204). L’auteur appuie son affirmation sur la Constitution pastorale L’Église dans le monde de ce temps, de Vatican II, qu’il site abondamment comme un document majeur dans la réflexion ecclésiale des dernières années. Il attire l’attention sur la notion de «subjectivité des êtres humains (c’est-à-dire de leur liberté de voir, de juger et d’agir), qui doit être respectée par toutes les personnes en autorité» (p. 204).
Un appel de Dieu
«Cette nouvelle compréhension de l’être humain a persuadé les théologiens et éventuellement l’Église officielle de revenir à l’ancienne christologie du Logos et de reconnaître la présence créatrice et rédemptrice de Dieu dans l’ensemble de l’histoire humaine» (p. 205). Baum consacre toute un chapitre à la question. Les êtres humains se définissent avant tout par l’appel que Dieu leur adresse au plus intime de leur conscience et qu’ils reçoivent à travers les témoignages qui leur viennent de bien des façons par leurs frères et soeurs en humanité.
Par les pauvres
Dieu parle particulièrement par l’intermédiaire des pauvres et oblige les chrétiens et les chrétiennes à une option préférentielle en leur faveur. Du coup, l’engagement pour la justice devient une «dimension indispensable de la vie de foi, d’espérance et de charité» (p. 206). Une telle perspective suppose que les pauvres occupent la première place dans l’enseignement social de l’Église quand celui-ci interprète la société. Cela conduit à un «engagement en solidarité avec leur combat pour la justice» (p. 206). L’auteur détecte dans cet engagement un «aspect subversif» de le discours ecclésial. Il ne reconnaît de solidarité universelle que celle qui commence par la solidarité avec les plus démunis.
Pour une «culture de la paix»
Gregory Baum consacre tout un chapitre à la «culture de la paix», prêchée par Jean-Paul II. Il reconnaît dans son «Décalogue pour la paix», une nouveauté jamais vue dans l’histoire de la pensée sociale de l’Église. «Au nom du Christ, qui nous apporte la paix, le Pape exprime le respect de la différence, même en matière de religion, et même s’il n’existe pas encore pour cette idée de garantie théologique limpide.» (p. 208) D’où la nécessité de reconnaître le pluralisme religieux et de l’interpréter de façon positive. Et l’auteur d’ajouter: «J’ai donné le nom de catholicisme solidaire à ce catholicisme nouveau qui est en train de prendre forme» (p. 208).
Dans le dialogue avec les autres
Dans le prolongement de cette idée, l’auteur analyse le changement énorme de l’Église catholique à l’égard des autres Églises, à l’égard des juifs et des religions non-chrétiennes. C’est le jour et la nuit entre Pie XI et Vatican II. Même contraste entre l’intercession du Vendredi Saint pour la conversion des juifs et le Concile qui admet la validité de la première alliance. «L’Église reconnaît dans la coopération et le dialogue interreligieux des gestes soutenus par l’Esprit et destinés à transformer tous ceux qui y participent.» (p. 209) Un «catholicisme solidaire» pousse la solidarité au-delà de ses frontières. Experte en humanité, l’Église ne peut que s’ouvrir et accueillir ses frères et soeurs de toutes les cultures et de toutes les religions.
En résumant le livre, j’ai abondamment cité l’auteur. Je n’avais qu’un but: vous convaincre de lire une réflexion objective et bien documentée, limpide et bien menée. «L’enthousiasme que j’éprouve pour l’évolution de l’enseignement officiel de l’Église contraste avec l’humeur de nombreux catholiques aujourd’hui qui déplorent l’indifférence de la bureaucratie ecclésiastique face à des problèmes pastoraux urgents.» (p. 16) L’ouvrage est donc pertinent. Il arrive à point dans un contexte social qui dénigre facilement l’Église catholique à partir de préjugés sans fondement véritable.
À ce moment-ci de son parcours intellectuel, Gregory Baum a atteint l’étape d’une joyeuse sérénité et d’une riche sagesse théologique. Il faut le remercier de nous offrir ici un regard étonné sur une Église qu’il trouve en particulier étonnante!
Denis Gagnon, o.p.