Accueil de Jésus
Alors il se mit à leur dire : « Cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. » Tous lui rendaient témoignage ; et ils s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche. Ils se demandaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : ‘Médecin, guéris-toi toi-même. Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm : fais donc de même ici dans ton pays ! » Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète n’est bien accueilli dans son pays. En toute vérité, je vous le déclare : Au temps du prophète Élie, lorsque la sécheresse et la famine ont sévi pendant trois ans et demi, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie n’a été envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien à une veuve étrangère, de la ville de Sarepta, dans le pays de Sidon. Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; pourtant aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman, un Syrien. » À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où la ville est construite, pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.
Commentaire :
Ce n’est pas sans motif que Luc a placé cet épisode au tout début de son évangile. C’est tout le mystère de Jésus et son œuvre qui sont ici mis en lumière à la synagogue de Nazareth. Le programme et la méthode de son action ainsi que son dénouement apparaissent clairement. Avant tout, le récit rappelle la venue de Jésus à Nazareth et le déroulement de la liturgie synagogale. Puis l’auteur décrit les réactions des auditeurs : acquiescement et admiration, surprise et stupéfaction et finalement indignation, rejet et rupture.
La comparaison de l’épisode avec la relation que Marc en fait (Mc 6,1-6) nous permet de mieux saisir la pensée de Luc. En celui-ci, les spectateurs sont remplis d’admiration pour les paroles pleines de grâce sorties de la bouche de leur compatriote, et non à cause de ses miracles comme en Marc. On est séduit pas l’efficacité des paroles de Jésus citant le prophète plutôt que la sagesse dont elle témoigne. En Marc, l’attitude des gens de la synagogue ainsi que de sa mère, ses frères et soeurs laisse croire qu’on le prend pour un homme bien ordinaire. Aussi se scandalise-t-on à son sujet. En Luc, c’est Jésus qui lui-même prend à partie ses compatriotes : « Aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. ». Jésus prédit se faisant l’échec de sa mission dans l’ensemble du peuple d’Israël. On retrouve ici le compagnon de Paul et le témoin des contestations émanant des Juifs en tous lieux où l’apôtre veut fonder une Église. Le récit de Marc souligne l’impuissance de Jésus à faire quelque miracle à cause du manque de foi dont Jésus s’étonne chez les ses compatriotes ; en Luc, Jésus ne veut pas faire de miracles à cause du refus par l’auditoire de Nazareth d’accueillir les paroles de grâce sorties de sa bouche. Même s’il doit faire une série de miracles par la suite, l’épisode de Nazareth témoigne d’un refus de salut apporté à Israël.
À ce refus des siens, Luc oppose l’efficacité du salut apporté aux nations païennes. L’envoi du prophète Élie chez la veuve de Sarepta (1 R. 17.7-24) et la guérison de Naaman le Syrien par Élisée (2 R. 5,1-27), témoignent de la puissance de Dieu acceptée et manifestée aux étrangers. Pour l’historien Luc, témoin de l’expansion de l’Église en territoire païen, les paroles dites, les gestes posés par Jésus n’ont pas apporté le salut dont les païens bénéficieront. « C’est grâce à votre désobéissance qu’il leur a été fait miséricorde » (Rm, 11, 29-32) « Sachez-le donc : c’est aux païens qu’a été envoyé ce salut de Dieu. Eux, ils écouteront » (Rm.28.28)
La finale de la péricope telle que relatée par Luc laisse préfigurer la mort infâme de Jésus hors de Jérusalem. « Ils le conduisirent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle leur ville était bâtie, pour l’en précipiter ». Mais Jésus, son heure n’était pas encore venue, échappe à leurs mains.
Quelle leçon pour nous ! Il n’est pas rare que nous essayions de concilier à la fois la beauté des paroles de Jésus et le rejet qu’elles connaissent par notre indifférence, notre ignorance ou notre remise à demain. Aussi ne soyons pas étonnés que la grâce en soit davantage fait aux autres. Les petits et les humbles qui boivent les paroles de Jésus et en vivent.