Voici un psaume mixte où la libération de l’homme est chantée à la fois comme une action de grâce et une prière de supplication. Pour que Dieu mène à bonne fin l’œuvre qu’Il a commencée. Dans la création, dans l’Exode et le retour d’exil, comme dans la résurrection.
1 Cantique des montées.
Quand le Seigneur ramena les captifs de Sion
nous étions comme en rêve ;
2 alors notre bouche s’emplit de rire
et nos lèvres de chansons.
Alors on disait chez les païens : Merveilles
que fit pour eux le Seigneur !
3 Merveilles que fit pour nous le Seigneur,
nous étions dans la joie.
4 Ramène, Seigneur, nos captifs
comme torrents au Négeb !
5 Ceux qui sèment dans les larmes
moissonnent en chantant.
6 On s’en va, on s’en va en pleurant,
on porte la semence ;
on s’en vient, on s’en vient en chantant,
on rapporte ses gerbes.
(D’après la traduction de la Bible de Jérusalem ©)
Pour bien situer le contexte, commençons par décoder trois termes particuliers. Tout d’abord le titre « Cantique des montées ». Il introduit le 7e des quinze chants (Ps 120-134) qui accompagnent les pèlerins montant vers Jérusalem. Il a une destination processionnelle : c’est un chant qui soutient la marche et la démarche des pèlerins, leur sentiment de joie et de libération de tout ce qu’ils ont quitté lorsqu’ils parviennent au terme du chemin. Il s’agit de montées, au sens topographique, car en venant de Jéricho à l’est, du Négeb au sud, ou de Jaffa à l’ouest, l’accès à la ville sainte se faisait en montant jusqu’à une altitude d’au moins 700 m. Mais il s’agit bien plus de montées spirituelles dans le désir de revenir à Jérusalem, dans le sens de retrouver Dieu. Les cantique des montées sont caractérisées par un rythme graduel : les mêmes mots ou expressions sont repris en écho d’un vers à l’autre. Comme ici aux versets 2 et 3 : « Merveilles que fit le Seigneur » ou 5 et 6 : « en chantant ».
L’appellation « Sion » a d’abord désigné la forteresse cananéenne prise par David. Ensuite ce fut le nom de sa cité, puis le nom pour désigner le mont du Temple de Jérusalem.
Le « Négeb », c’est le nom hébreu du territoire situé au sud de la Judée. Il signifie le sol sec, la zone aride qui ne connaît que quelques cm de précipitations par an. Mais lorsqu’il pleut, alors oui, l’eau coule à flots des parties élevées du terrain vers les vallées. Chacun des oueds collecte les eaux de ruissellement et cela forme des rivières temporaires, qui peuvent grossir en réels torrents en un rien de temps.
Alors qu’en été, ces des lits de rivières ne reçoivent d’eau qu’une très légère rosée matinale.
Pour qui lit ce psaume pour la première fois, le constat après lecture est celui d’un sentiment de réconfort et d’une thématique d’allégresse pour une action qui s’est accomplie ou qui va l’être. Le temps est fortement pris en compte : celui du retour, du rire, des chants de joie, des actions de Dieu et de la vie agricole. La plupart des verbes sont au yiqtôl, qui exprime l’action durative. Le psaume a d’ailleurs été choisi comme une prière pour la venue des temps messianiques.
L’accent principal est placé sur le rappel d’un retour d’exil de la population de Jérusalem. Exil qui a eu lieu à Babylone entre 586 et 538 avant Jésus-Christ. C’est une merveille, au même titre que la création, l’exode d’Egypte ou le don de la Loi. Ces « merveilles » sont les œuvres que seul Dieu peut accomplir. Elles manifestent la présence réelle de Dieu au milieu de son peuple. « Ces œuvres sont pour Israël chargées de sens, tandis que pour d’autres, ces mêmes œuvres n’ont aucune signification¹ ». L’usage du pluriel (« nous ») montre qu’il s’agit d’une prière collective.
Un Psaume en deux parties
La thématique d’allégresse donne la cohérence à ce psaume. Il est structuré en deux parties : soit on considère la construction en diptyque avec deux strophes successives (les versets 1-3 et 4-6). La première, avec ses formes verbales au passé, dit le souvenir de la libération des captifs ; la seconde fait la supplication de salut à venir.
Soit on prend un diptyque en chiasme (versets 1-2 et 4-3) auquel on adjoint un diptyque ordinaire (versets 5 et 6) qui met en parallèle les semences et les larmes (5a, 6ab) et puis la récolte avec les chants (5b, 6cd). Mais rien n’oblige à préférer une de ces deux structures lorsqu’il y a le rythme graduel qui rattache les versets les uns aux autres par des mots crochets, dans une progression logique.
Le v. 1 En effet le psalmiste se réfère d’abord au passé qui lui est donné comme un rêve, comme s’il était en extase. La joie fut d’autant plus grande qu’il était imprévu. Par trois fois le psalmiste redira ce chant ou cri joyeux (« rinnâ » aux vv. 2b, 5b et 6c).
Le v. 2 Le rire apparaît en conséquence de l’action surprenante de Dieu. Le récit du dialogue entre Bildad et Job place cette même expression comme une promesse de bonheur (Jb 8,21).
Les païens (de Babylone) s’exclament à propos de l’action de Dieu : ces grandes choses qu’Il a faites pour les croyants de l’Israël ancien.
Le v. 3 Et ceux-ci acclament Dieu tout autant, la joie, les réjouissances en plus. On peut deviner une alternance de deux chœurs qui chantent la délivrance au terme du long exil.
Le v. 4 est une prière de demande, suppliant Dieu que le retour des captifs se fasse par l’action divine « comme torrents au Négeb » c’est-à-dire rapidement, globalement, avec une puissance qui dépasse l’homme. Rien ne pourrait arrêter l’eau qui déferle sur le sol sec et aride.
Le v. 5 exprime l’ensemble du travail de l’homme et de la terre : semer et moissonner, mais aussi ses états profonds : larmes de tristesse et cris ou chants de joie. Ce sont là des termes concrets pour signifier l’expérience humaine et divine : l’épreuve et la libération.
Le v. 6 reprend graduellement les mêmes images associant pleurs et portement de semence suivies du chant de joie et portement des gerbes. Mais il agit comme une reprise du thème de base en évoquant par deux fois le départ : « on s’en va », puis par deux fois également le retour « on s’en vient ». L’abondance des gerbes en finale du psaume montre la performance accomplie par rapport aux petites semences du début, reflétant l’expérience de l’exil et du retour, ce qui préfigura pour les rapatriés de Babylone, l’avènement de l’ère messianique.
Dans ce psaume de libération, la finale marque très concrètement la confiance en la production du fruit de la nature ensemencée. Ce qui peut correspondre à un oracle qui annonce l’intervention divine de salut pour l’humanité captive.
Prier le psaume 126
Le psalmiste est témoin que Dieu intervient. Il proclame son admiration. Il veut que son acclamation soit partagée au plus grand nombre et en tout temps. « C’est pourquoi la louange est profondément communautaire et missionnaire². »
Le priant d’aujourd’hui peut doublement s’approprier le psaume 126. Qu’il soit devant une nouvelle situation de détresse ou d’épreuve, le Ps 126 est un stimulant et une belle espérance.
Qu’il soit arrivé au bout de sa période d’effort ou de témoignage, le Ps 126 offre une expression de louange et d’action de grâce. Tout comme Bildad de Shuah l’exprime pour Job : « Ta condition ancienne te paraîtra comme rien, si grand sera ton avenir » (Jb 8,7). La finale du récit décrit de fait combien Dieu restaura Job dans ses biens (cf. Jb 42,10.12).
La fragilité de la condition humaine est mise ici en rapport avec la puissance de Dieu. La semence de la foi et l’eau des larmes se dirigent vers un fruit de grâce et un état de joie.
Une application chrétienne
A l’approche de Noël, nous pourrions prier ce psaume dans un sentiment d’attente patiente, sinon fébrile, d’une nouvelle action de Dieu, d’autant que la liturgie de la Parole le propose pour le 2e Dimanche de l’Avent de cette année (C). Tous, nous avons besoin d’être libérés, rapatriés ou sauvés.
Puisque Jésus-Christ a changé notre sort, rétablissant notre destinée pour la Vie divine, ne doutons pas que la semence de charité, de sainteté, vécue parfois dans les larmes sur la terre, sera moissonnée, avec le Christ, dans la joie du Ciel. Rappelons-nous l’exhortation de Jésus à ses disciples : « Vous pleurerez …et le monde se réjouira, …mais votre tristesse se changera en joie » (Jn 16,20). Pour lui aussi la passion a précédé la résurrection !
Saint Paul ira dans le même sens que le psalmiste : « Ce que l’on sème, on le récolte … Ne nous lassons pas de faire le bien ; si nous ne perdons pas courage, nous moissonnerons en temps voulu » (Ga 6, 7b.9).
Avec la Vierge Marie, finalement, nous pouvons reprendre le cantique du « Magnificat » où elle dit : « …le Tout-Puissant a fait pour moi des merveilles. Saint est son nom ; et sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (Lc 1,49-50). Gardons alors l’élan enthousiaste du psalmiste, car à Noël comme à Pâques, Dieu ne cesse de se surpasser pour nous libérer, pour que notre joie soit complète (cf. Jn 15,11; 17,13).
Seigneur, tu as fait merveille pour ton Christ quand tu l’as ramené de la mort à la Vie.
Renouvelle cette merveille pour ton Eglise, en lui permettant de témoigner de ta présence.
Qu’après avoir été à labour avec Jésus, elle connaisse avec lui la joie de la moisson.
fr. Christian Eeckhout, o.p.
Merci bcp,
Je suis pasteur Théologien ici à Lubumbashi en RD Congo!
Très heureux de vous lire!
Que Dieu vous bénisse!
merci de ce commentaire,je suis candidat ancien d’église de l’église presbytérienne et ce commentaire me donne plus d’argument pour mieux appréhender le psaumes 126.il va m’aider à mieux motiver mes frères et soeurs en christ dans le culte de l’effort.
Très ravis de vous lire. C’est un enseignement de haut niveau.
J’aimerais recevoir ces enseignements dans ma boîte électronique et les étudier à tête reposé.
Pas possible pour l’instant. Désolé.
Benoît Kazadi Ngoyi : Ce commentaire m’a beaucoup fortifié. Merci.
Très belles explications, la parole de Dieu est vraiment intemporelle.
A méditer longuement pour agir en connaissance et avec Amour