Aimer
Un scribe qui avait entendu la discussion, et remarqué que Jésus avait bien répondu, s’avança pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Le scribe reprit : « Fort bien, Maître, tu as raison de dire que Dieu est l’Unique et qu’il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son coeur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices. » Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.
Commentaire :
L’hostilité des Juifs a accompagné Jésus tout au long de sa montée vers Jérusalem et stigmatisé d’amour pour nous sa passion. Au début (2,1-3,6), les Pharisiens pour une part attaquent les libertés de Jésus et de ses disciples sur le jeûne et ses guérisons le jour de sabbat. Arrivé à Jérusalem, Jésus se voit contesté sur l’autorité avec laquelle il chasse les vendeurs du Temple.
Un dernier affrontement portera sur les commandements, objet primordial de discussion dans les écoles rabbiniques : quel est le plus grand commandement ? Avouons que cette fois, l’agressivité n’est pas au rendez-vous, le scribe, auteur de la question, ne semble animé d’aucune intention perverse. Les rabbins revenaient souvent dans leurs discussions sur la primauté d’un commandement. Selon une tradition judaïque, la Loi comprenait 613 commandements, 365 interdictions et 248 préceptes. Distinguer l’essentiel de l’accessoire semblait nécessaire aux Maîtres et Docteurs de la Loi. Tous cependant ne sentaient pas ce besoin : « Que le commandement léger te soit aussi cher que le commandement grave » enseignait une école. Rabbi Hillel quant à lui prônait : « Ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse, ne le fais pas non plus à ton prochain. C’est là toute la Loi, le reste n’est que commentaire.» Le Seigneur lui-même prendra une attitude étonnante en la matière : « Celui qui restera fidèle au plus petit de ces commandements sera considéré comme grand dans le Royaume des cieux. » (Mt.5,19) La question du rabbin paraissait donc on ne peut plus opportune : « Maître, dans la Loi, quel est le premier des commandements ? »
Se référant au fameux Shema « Écoute Israël ! » que tous les juifs fervents devaient réciter deux fois par jour (Dt. 6,4-5), Marc introduit la réponse de Jésus : « Écoute Israël ! » Coup de clairon dans un tintamarre de questionnements. « Écoute Israël ! Le Seigneur ton Dieu… Tu l’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.» L’apôtre Jean écrivait dans sa première lettre : « Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu le premier, c’est lui qui nous a aimés. » (I Jn. 4, 10 et19) L’amour de Dieu était donc pour les Anciens comme une réponse à l’Unique qui avait fait de son Peuple un peuple choisi. On comprend que Marc insiste sur l’intégrité essentielle de l’amour : de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit.
Mais Jésus va prolonger sa réponse, il fait référence au Livre du Lévitique (Lv.19,18) et rattache le commandement de l’amour du prochain au commandement de l’amour de Dieu. Ce faisant, il place comme sur un pied d’égalité l’un et l’autre. Aussi Jean écrira justement : « Celui qui dit qu’il aime Dieu invisible et n’aime pas son prochain visible est un menteur » (1 Jn 4,20) Le scribe l’avait d’ailleurs fort bien compris lorsqu’il complète sa réponse par un enseignement des prophètes : « C’est l’amour que je veux et non les sacrifices. » (Osée 6,6)
« Tu n’est pas loin du Royaume de Dieu », reprit Jésus. Comme si son interlocuteur était déjà sur le seuil du Royaume. L’amour constitue la base même de ce Royaume et non moins la source. L’apôtre Paul résumait toute la Loi et les Prophètes : « la charité est la Loi dans toute sa plénitude ». (Rm.13,10)
Le cardinal Léger semblait un jour contredire cette façon de voir lorsqu’il dénonçait « la religion de l’autre ». Pourtant n’est-ce pas Jésus qui proclamait dans sa description du Jugement dernier : « Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites. » (Mt. 25). Ce mot a désarçonné saint Paul sur le chemin de Damas et converti l’apôtre des nations. (Ac. 9 ; 22 ; 26)