– Tu viens encore de remonter cette mèche de cheveux sur ton front.
– La nuit dernière, je me suis réveillé parce que tu ronflais trop fort.
– Ah non! Pourquoi laisses-tu toujours traîner tes vêtements sales sur le parquet?
– Peux-tu arrêter de donner des petits coups de pied sur la table? Ça m’énerve!
Lorsqu’on vit à deux, on découvre bien vite que l’autre a ses petites habitudes, ses tics, ses manies. De même, on ne parviendra pas longtemps à cacher les siennes. Tous ces petits gestes énervants mettent fin aux grandes images romantiques et idéalisées que les conjoints se font l’un de l’autre. Le prince charmant ne sens pas toujours la rose. La princesse fait parfois des petits bruits pas très agréables. Même quand on s’efforce d’être discrets et de se déranger le moins possible, ce genre d’irritants est constitutif de la vie à deux.
Qu’en résulte-t-il? Toutes sortes d’attitudes qu’adoptent les conjoints l’un envers l’autre. Il peut s’agir de reproches, de fous rires, de demandes de changements, de remarques désobligeantes ou humiliantes, d’indulgence, de patience. Tout est possible, le pire comme le meilleur.
D’après saint François de Sales, apprendre à tolérer les petites manies et les petits incidents du quotidien le plus banal fait partie intégrante de la spiritualité. Voici ce qu’il exprime dans son langage fleuri du début du XVIIe siècle :
«Ces petites charités quotidiennes, ce mal de tête, ce mal de dents, cette fluxion, cette bizarrerie du mari ou de la femme, ce cassement d’un verre, ce mépris ou cette moue, cette perte de gants, d’une bague, d’un mouchoir […] : bref, toutes ces petites souffrances, étant prises et embrassées avec amour, contentent extrêmement la Bonté divine, laquelle pour un seul verre d’eau a promis la mer de toute félicité à ses fidèles; et parce que ces occasions se présentent à tout moment, c’est un grand moyen pour amasser beaucoup de richesses spirituelles que de les bien employer.» (Introduction à la vie dévote, 3e partie, chapitre 35)
Transposons cette citation dans un langage plus actuel. Saint François de Sales invite les conjoints à faire preuve de patience et de tolérance l’un envers l’autre à travers les menues contrariétés qui jalonnent leurs journées. Les petites manies peuvent soit nous empoisonner l’existence, soit nous inciter à aimer l’autre davantage et à communier de plus près à l’amour de Dieu, infiniment patient et tolérant à notre égard. Il s’agit en somme d’une ascèse non programmée, c’est-à-dire d’un moyen pratique de décanter en nous et entre nous l’essentiel de l’accessoire. Les petites manies ne recèlent-elles pas un potentiel spirituel insoupçonné?