Quand arrive la mi-octobre, le Canada s’offre une fantaisie. Il prolonge le congé du deuxième dimanche du mois jusqu’au mardi matin. Tout un lundi sans rentrer à l’usine ou au bureau! Vingt-quatre heures de vacances! Pas de journaux! Pas de bouchon de circulation! Rien! Ou presque…
Ce congé automnal s’appelle «Action de grâce». Il serait préférable de parler d’«état de grâce». Du moins, c’est l’expression que nous pourrions accoler à certains. Ces bienheureux s’accordent une journée de paresse sans la culpabilité qui, normalement, accompagne le «péché capital» de l’oisiveté! Une journée simplement pour ne pas se sentir obligé de bouger, de faire des choses. De faire tout court!
Nous nous agitons tellement! Nous courons ici. Nous courons là. Nous ressemblons à l’écureuil qu’on vient d’attraper. Il s’affole dans sa cage comme un claustrophobe derrière une porte fermée.
La mort nous pend au bout du nez. Nous n’arrêtons pas de gesticuler, croyant ainsi la distraire et nous garder en vie. Nous nous croyons obligés de produire. Il faut que la machine donne du rendement, qu’elle réalise, qu’elle fasse. Et quand ce n’est pas nécessaire, il faut continuer de tourner la roue, ne serait-ce que pour nous donner l’impression d’être utiles.
De temps à autre, de temps à autre, les congés nous imposent un arrêt. Aux feux de circulation, la lumière rouge s’allume pendant que la verte s’éteint. Elle dit: «Laisse passer le temps sans t’y agripper. Laisse passer la vie pour admirer son cortège. Laisse… Ne te sens pas obligé de tout contrôler, de tout maîtriser… Fais confiance… Souviens-toi des Hébreux au désert. Ils recevaient la manne pour une seule journée. Pas question d’accumuler des réserves. Fais confiance… Demain s’occupera bien de lui-même.»
S’offrir un état de grâce… J’entends la justification: «Le congé va te revigorer. Tu travailleras mieux mardi.» C’est vrai. Mais pourquoi nous justifier? Faisons rien pour rien! Laissons la place à la gratuité. Le mot «grâce» n’appartient-il pas à la même famille de mots que «gratuité»!
Humains, nous ne devrions pas nous mesurer. Nous ne devrions pas nous définir à partir de notre rendement. J’admets que nous le faisons constamment. Mais c’est une erreur. Tout être humain, quoi qu’il fasse, quel que soit le rendement de son activité, n’a pas de valeur. Il est à retrouver au-delà. Il est grand au-delà de la valeur. Il est précieux en soi. S’il faut le définir, définissons-le par son état de grâce et non par sa capacité de produire. Au-delà de son action, c’est un géant. Au-delà même de l’action la plus noble qu’il peut accomplir dans sa vie.
Devant un être humain, pas question de mérite, pas question d’accumuler les qualités ou les réalisations. Il est là, cela suffit. Il pèse de toute sa gratuité.
Nous existons par état de grâce!