Au-delà du possible
Des pharisiens l’abordèrent et pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Jésus dit : « Que vous a prescrit Moïse ? » Ils lui répondirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. » Jésus répliqua : « C’est en raison de votre endurcissement qu’il a formulé cette loi. Mais, au commencement de la création, il les fit homme et femme. A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu’un. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » De retour à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question. Il leur répond : « Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d’adultère envers elle. Si une femme a renvoyé son mari et en épouse un autre, elle est coupable d’adultère. »
Commentaire :
Entre la deuxième et troisième annonce de la Passion, Jésus donna une série d’enseignement à ses disciples, dont celui que nous pouvons lire ce dimanche concernant le mariage et le divorce. Un débat public suivi d’un entretien privé compose cet enseignement. Les pharisiens tentaient une fois encore de prendre Jésus en faute sur un point de loi de Moïse: « Lorsqu’un homme aura pris femme et l’aura épousée, s’il advient qu’elle ne trouve pas grâce à ses yeux parce qu’il a trouvé en elle quelque chose de choquant, il écrira pour elle une lettre de répudiation, la lui remettra en main et la renverra de sa maison. » (Dt. 24.1-4) Alors que les interlocuteurs parlent de permission, Jésus emploie ici le terme commandement touchant la disposition de Moïse « eu égard à la dureté de cœur ». Jésus ne dénonce pas ici un manque de sensibilité ou de dureté, mais de fidélité à la loi divine, une incapacité de comprendre la volonté divine. . Le cœur dur reste opaque à la lumière de Dieu (3,5 ; 6.52 ; 8, 17 ; Is.6,9-10) Jésus en appelle aussi à un autre texte de la Loi : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à une femme et les deux ne feront plus qu’une seule chair ». (Gn. 2.24 Jésus déduit de ce texte l’interdiction de toute séparation : « Que l’.homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni. »
Dans cette page d’évangile, Marc s’adresse vraisemblablement à une communauté chrétienne, ignorante du judaïsme. Chez les Juifs, le principe de la répudiation était admis. Le seul motif légitime concernait le mobile de la répudiation. « Quelque chose de choquant », précisait le Deutéronome (24) : inconduite pouvant rendre la femme suspecte d’infidélité, ou toute cause de déplaisir pour la mari. Déjà vers 450 avant le Christ, le prophète Malachie dénonçait la répudiation. (2.14-16) La position de Jésus bâillonne toute discussion. Il témoigne d’une autorité incontestable sur la Loi (1,21-22). Il dévalorise un commandement de Moïse au profit du dessein divin exprimé dans la création de l’homme et de la femme. Il fait donc une brèche dans le particularisme juif en faveur de l’universalisme de la mission évangélique. (2,21-22, 27-28 ; 7, 8-13, 19-23) Pour lui, la volonté divine doit être comprise non dans un précepte ou aménagement légal de la conduite humaine, mais dans la relation profonde que la structure du mariage établit entre l’homme et la femme.
Cet enseignement public sera suivi une fois encore (4,10-15 ; 7,17-23 ; 9,28-29) d’un entretien privé avec ses disciples. Dans l’éclaircissement qu’il apporte aux disciples touchant la question, Jésus s’adapte aux conditions sociales et culturelles de chrétiens venus du paganisme. Elle envisage le cas de l’homme puis celui de la femme qui répudie son conjoint et se remarie. (11-12) Chez les Juifs, une femme ne peut divorcer de son mari ; elle peut demander le divorce mais celui-ci n’est prononcé que par la mari. Dans la loi romaine, on reconnaissait à la femme le droit de rompre son mariage avec son époux. Pour Jésus, la permanence du lien matrimonial est telle que le remariage après répudiation est qualifié d’adultère, d’infidélité conjugale. Le texte de Marc suppose l’égalité foncière de l’homme et de la femme par rapport au mariage et le respect qui lui est dû. Saint Paul prônera également l’interdiction de la répudiation et du remariage après le divorce. ( 1 Co. 7,10-16)
On voit donc très tôt posée la question des rapports entre l’Évangile et sa mise en pratique dans les conditions concrètes de ce monde. L’Évangile dépasse toute expression légale, mondaine pourrions-nous dire, de la volonté de Dieu ; mais la fidélité à l’évangile ne va pas sans attention aux situation des personnes dans leur cadre sociale, ni sans dispositions concrètes qui en assurent la pratique communautaire et distinguent les églises de leur milieu juif ou païen.
Jésus vient de parler une seconde fois de la Passion qu’.il doit vivre. Il veut entraîner ses disciples sur son chemin. Une certitude doit être partagée par ses disciples : Dieu est là, toujours là. Il veut faire venir son règne et la réussite de l’homme passe par la disponibilité à la confiance, l’abandon. Dieu se fait connaître au-delà des limites de la révélation mosaïque. (10,5-6, 19-21) Il demande à l’homme plue que prévu, même si jusque là l’homme avait restreint le possible à la mesure de ses propres forces. (10, 26-27) Découvrir l’union indissoluble de l’homme et de la femme comme volonté divine : voilà qui est vivre le règne de Dieu, perçu comme générosité divine à l’homme.
Générosité incomprise, qui seule permet d’aller au-delà du possible.