C’était un bouleau-pleureur. Svelte et bien droit, il avait le port altier. Ses branches, longues et souples, dansaient avec le vent. Comme la plus talentueuse des ballerines, elles décrivaient si bien leurs arabesques qu’on imaginait facilement la musique qui les mettait en action. En se caressant mutuellement, elles chuchotaient des secrets d’amoureux.
Un beau bouleau-pleureur. Le tronc paraissait solide comme une colonne de marbre, résistant sous son écorce pourtant délicate. Au printemps, il s’habillait lentement. Son vert tendre prenait de l’intensité peu à peu, à mesure que la saison cédait sa place à l’été.
Mon bouleau-pleureur venait à peine d’entrer dans sa soixante-dixième année quand il commença à donner des signes de vieillissement. Soixante-dix ans, le bel âge entre deux âges! À soixante-dix ans, la sève est encore forte, il me semble. À soixante-dix ans, on se souvient de ses quarante ans et on en garde un peu la vigueur. À soixante-dix ans, l’avenir n’a pas commencé à nous faire peur. Pourquoi mon bouleau-pleureur pliait-il déjà l’échine? Je ne sais pas. Peut-être qu’un bouleau-pleureur a une espérance de vie moins longue que d’autres arbres. Peut-être qu’il était malade. Un insecte pervers lui avait peut-être inoculé un venin mortel. Je ne saurai sans doute jamais exactement pourquoi mon bouleau-pleureur était malade.
Un beau matin – oui, c’était un beau matin! – en regardant mon bouleau-pleureur, je compris qu’il ne souffrait plus. Il était mort. de mort très douce assurément, mais de mort définitive tout de même. À venir jusqu’à date, la mort paraît toujours définitive. Il y a cependant une exception, une seule, mais une quand même! Il ne m’en faut pas davantage pour que j’espère: pourquoi l’exception ne deviendrait-elle pas la règle générale?…
Pour l’instant, mon bouleau-pleureur était mort. Il ne pleurait plus. Je pris donc le relais. Je suis devenu moi-même un homme-pleureur. Moi qui ne pleurais jamais, voilà que la mort de mon bouleau réveillât en moi une source tarie depuis mon enfance. Les larmes jaillirent de mes yeux. D’abord hésitantes: elles n’avait jamais sorti à l’extérieur, les pauvres! Le grand air leur faisait peur. Elles dépassèrent leur crainte et surgirent, abondantes et sans retenue.
En mourant, mon bouleau m’avait confié ses larmes. Je ne suis pas devenu un pleurnichard mais un homme-pleureur. J’accepte d’avoir de la peine. J’accepte de souffrir. En pleurant, j’apprends même à deviner la souffrance des autres, les larmes qui inondent d’autres visages.
La mort est une bête affreuse, il faut le reconnaître. Mais la mort d’un proche, aussi inacceptable que cela puisse paraître, nous fait le cadeau des larmes. Un cadeau unique.
Mon bouleau, c’était mon père. Je n’ai jamais autant pleuré qu’à la mort de mon père. Mon père m’avait donné beaucoup. Mais, en mourant, il me fit encore un cadeau, et un cadeau très précieux : des larmes. Depuis, j’ai séché mes larmes, mais j’en ai gardé l’odeur comme un souvenir impérissable.