Liberté
Les Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent auprès de Jésus, et voyant quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées – les Pharisiens, en effet, et le commun des Juifs ne mangent pas sans s’être, conformément à la tradition des Anciens, lavé les bras jusqu’au coude, et ils ne mangent pas au retour de la place publique avant de s’être aspergés d’eau, et beaucoup d’autres pratiques doivent être observées par tradition : lavage de coupes, de cruches et de plats d’airain – les Pharisiens et les scribes lui demandent donc : « Pourquoi tes disciples ne se comportent-ils pas selon la tradition des Anciens, mais prennent leur repas avec des mains impures ? » Jésus leur répondit : « Isaïe a joliment bien prophétisé de vous, hypocrites, dans ce passage de l’Écriture : Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur cœur est loin de moi. Vain est le culte qu’ils me rendent, les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous mettez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes. » Ayant de nouveau appelé la foule, il leur disait : « Écoutez-moi tous et comprenez-moi bien ! Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui, pénétrant en lui, puisse le rendre impur, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! … Car c’est du dedans, du cœur des hommes, que sortent les desseins pervers : débauches, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, ruse, impudicité, envie, diffamation, orgueil, déraison. Toutes ces mauvaises choses sortent du dedans et rendent l’homme impur. »
Commentaire :
Le chapitre septième de Marc occupe une place importante dans l’évangile. Deuxième ensemble de discours de Jésus, il forme un tout sensiblement remanié par Marc. Il résume en somme un ensemble de principes que Jésus illustrera par la suite à travers ses faits et gestes en terre païennes : plus de distinction entre «pur» et «impur», justes et pécheurs (Mc. 2,15-17), Juifs et païens, seuls les hommes dresseront des barrières. C’est de ce chapitre que la liturgie de ce jour a sélectionné quelques versets qui nous permettront une interprétation plus libre.
La question de pureté alimentaire a joué un grand rôle dans l’église primitive, (Ga.2,11-14, Ac. 10 + 15). Le concile de Jérusalem a dû se prononcer sur la difficulté. Les paroles de Jésus commentées ici ont reçu dans l’Église des interprétations particulières adressées aux disciples (Mc. 4,10-12), elles visent un problème particulier à la communauté marcienne. Dans l’Église des premiers temps, tous les aliments étaient purs : « Ce que Dieu a purifié, toi, ne le dis pas souillé. » (Ac. 10,15, Rm. 14,23) Tant qu’il n’est fait mention que d’impureté alimentaire, on ne touche guère à l’impureté du cœur. Telle serait la toute première interprétation de la parole de Jésus.
Un second sens doit cependant être retenu : l’objectif visé serait ici le cœur, l’endroit où l’être humain est profondément menacé d’impureté, source de division et de mort, repaire de tous les vices et non moins trésor de tout ce qui est bon : « L’homme bon, du trésor de son cœur, tire ce qui est bon, et celui qui est mauvais, de son mauvais fond, tire ce qui est mauvais, car la bouche parle du trop-plein de son cœur » (Lc. 6, 45). Deux séries de perversités, deux listes terminées chacune par un vice : méchanceté et déraison, tout ce dont le cœur humain est capable. La déraison est vraiment source de tout mal. L’insensé, l’homme aveugle, endurci est celui qui ne connaît pas Dieu, oublie Dieu et méprise la nature. Voilà pourquoi Jésus insiste : Écoutez-moi bien et comprenez!
Le « dehors » et le « dedans » de l’homme ne se rapportent pas seulement aux aliments venant de l’extérieur, mais à ce qui est au centre de la personne. C’est vraiment le cœur de la personne que cible la sentence : « Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. » C’est du cœur de l’homme d’où proviennent toutes impuretés. Cette question du « pur » et de l’ « impur » jouait un grand rôle dans les rapports des Juifs entre eux, et leur séparation d’avec les nations. Le domaine du « pur » était essentiellement le domaine de la vie, et le domaine de l’« impur », celui de la mort, par exemple les cultes étrangers.
Le déplacement de sens, le changement d’opinion que Jésus cherche à provoquer chez ses auditeurs est révolutionnaire, il se situe au niveau des idées courantes et des opinions légales. Loin de faire opposition à la loi de l’Ancien Testament, Jésus invite l’homme à sortir de ses préjugés non par des efforts intellectuels ou des concepts religieux ; Jésus montre que la puissance mortelle, l’impur, accable l’homme. La vraie menace vient du cœur, siège des décisions. En somme, la seule impureté véritable est celle que l’homme contracte en se décidant librement pour le mal. Jésus reconnaît à l’homme une liberté extraordinaire : liberté qui se doit d’être consciente de sa responsabilité devant Dieu et les hommes. Nul n’a le droit d’engendrer, de faire sortir de soi ce qui rend impur et s’avère mortel pour les hommes.
Et c’est tout liberté qu’il doit pouvoir le faire. Le défi est de taille. L’apôtre Paul écrivait : « Je fais toujours le mal que je veux pas faire… Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? »