On dit que Montréal figure parmi les villes les plus sécuritaires de la planète. Et pourtant c’est encore arrivé cette semaine. À quelques kilomètres les uns des autres, à trop peu d’années d’intervalle, les tueries érigent des lieux de veillées funèbres dans les institutions d’enseignement de la grande ville.
Pourquoi là? Pourquoi dans ces sanctuaires de la jeunesse, dans ces cathédrales où on célèbre avec solennité l’intelligence humaine? Pourquoi là où on donne le goût de construire le monde? Question sans véritable réponse!
Cette fois-ci, la solitude serait la bête à piéger. Les savants spécialistes analysent le site Internet du tueur. Les journalistes interrogent le voisinage de la famille. On scrute les sources où le pauvre Kimveer Gill se gavait de haine. Les conclusions convergent vers la solitude. Le vrai assassin s’appelle la solitude. La garce!
Kimveer était seul, enfermé dans sa bulle, à l’abri du reste de l’humanité. Kimveer était seul, Marc Lépine aussi, et Valery Fabrikant, et tous les fébriles de la gâchette. Et même les autres, les doux, les sociables, les amoureux: nous sommes tous des êtres seuls. Le désert inhabité envahit notre planète intérieure. Aussi loin que les autres peuvent pénétrer au fond de nous-mêmes, il restera toujours un coin de jardin inexploré. Des pas humains ne se rendront jamais dans l’arrière-pays de notre être. Peut-être même que personne n’arrive au plus intime de sa propre jungle.
Alors, les humains sont-ils condamnés à la chambre à gaz de la solitude? Avec pour conséquence que l’isolement les transforme en frustrés, en potentiels agresseurs ou assassins? Cela arrive, comme c’est arrivé à Kimveer.
Mais il y a moyen de contourner l’horreur. Le rocher est à pic; nous pouvons cependant l’escalader. La solitude n’est pas une fatalité. Nous pouvons l’affronter comme un défi. Vivre avec sa solitude, s’en faire une amie (amitié et solitude, quel paradoxe!), franchir les frontières pour visiter les autres: le besoin d’aimer et d’être aimé n’en demande pas moins.
La solitude rôde aux extrémités. Ou bien elle séduit, ou bien elle viole. Elle ne connaît pas de juste milieu. Comme devant tout ravisseur, il faut la conquérir, s’en faire une alliée, pour pouvoir lui échapper. Bref, il faut nous aimer dans la reconnaissance et le respect de nos mystères.