Repas des bienheureux
Le premier jour des Azymes, alors que l’on immolait la Pâque, les disciples disent à Jésus : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? » Il envoie alors deux de ses disciples, en leur disant : « Allez à la ville ; vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau. Suivez-le, et là où il entrera, dites au propriétaire : Le Maître te fait dire : « Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ? » Et il vous montrera, à l’étage, une grande pièce garnie de coussins, toute prête ; faites-y pour nous les préparatifs. » Les disciples partirent et vinrent à la ville ; ils trouvèrent tout comme Jésus le leur avait dit et ils préparèrent la Pâque… Tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, le rompit et le leur donna en disant : « Prenez, ceci est mon corps. » Puis, prenant un coupe, il rendit grâce et la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude. En vérité, je vous le dis, je ne boirai plus du produit de la vigne jusqu’au jour où je boirai le vin nouveau dans le Royaume de Dieu. »
Commentaire :
Après la mise en situation (14 : 12-16), dont nous ne remettrons pas en question l’authenticité, nous nous intéresserons davantage à l’institution de l’Eucharistie (14 : 22-26). A sa jeune Église de Corinthe, l’apôtre Paul avait partagé son intelligence du mystère, ce qu’il avait reçu du Seigneur, comme il l’écrit ( 1 Co. 15 : 3). Doctrine immuable s’il en fut, ( Rom. 6 : 17), Paul refuse d’en reconnaître la moindre source humaine. (Ga. 1 : 11-12). L’apôtre a du être informé de cette tradition par Ananie, ou encore les apôtres lors de ses visites à Jérusalem, ce qui n’exclut point les lumières reçues directement du Seigneur ressuscité. (Ac. 9 : 16 ; 26 : 16 ; 1 Co. 2 : 12).
L’évocation de ces rites eucharistiques touche la personne de Jésus, Maître et Seigneur : il domine vraiment l’institution de ce qui deviendra le mémorial de sa mort. Avec une fervente attention, les fidèles, au cours des siècles, ont suivi ces gestes, écouté les paroles prononcées une première fois « dans la nuit où il fut livré ». Paul, avec précision, tenait à relier l’Eucharistie à la mort du Jésus. Pour lui, le repas du Seigneur tient tout son sens du sacrifice rédempteur, souvenir qui commande tout le récit. « La nuit où il fut livré », référence au plan salvifique de Dieu : « lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous. » (Rm. 8 : 32)
Dans les repas communautaires, une fois que les convives s’étaient lavé les mains, on passait à table, et le Maître de la maison inaugurait le repas par un rite solennel : il prenait le pain, prononçait une prière d’action de grâce qui servait lieu de bénédiction et rompait le pain qu’il partageait avec ses hôtes. Ces gestes, Paul les précise avec précision. La bénédiction dont il fait ici mention, était une formule rituelle d’introduction à la prière de demande. Mais au lieu de la formule usuelle, « Béni sois-tu Seigneur, notre Dieu, Roi éternel qui fait produire le pain de la terre », Jésus s’adresse à son Père et, ce faisant, Jésus donne à la fraction du pain le sens d’un sacrifice de louange et d’expiation. En cette soirée mémorable, paroles et gestes sont liés de façon à constituer un ensemble indissoluble. Pas le moindre fondement d’une interprétation symbolique est ici possible : « ceci » , le pain rompu et offert, c’est Jésus lui-même dont le corps sera mis à mort sur la croix. Une prophétie en acte. Jésus se consacre en faveur des siens et réalise le salut de tous ceux qui participent au repas. Il termine en ordonnant aux siens de refaire eux-même ce geste qu’il vient de poser : « Faites ceci en mémoire de moi », non comme un souvenir, mais à la fois comme une confession de la présence du Seigneur et une actualisation dans le temps de son œuvre de salut signifiée par le pain rompu et le sang répandu. C’est ainsi que dans les temps passés, les prêtres interpellaient alors Dieu pour qu’il se souvienne de son peuple (Lv. 24 : 5-9)
Ce « mémoire » rappelle enfin le souvenir de la délivrance d’Égypte du Peuple de Dieu (Ex. 13). « Chaque génération doit se regarder elle-même comme sortie d’Égypte, commentait la Mishna. Aussi sommes-nous tenus de louer, chanter, glorifier, bénir et proclamer celui qui a fait tous ces signes pour nous. » L’Eucharistie n’est donc pas seulement une commémoration du sacrifice de la croix, mais aussi une action de grâce pour la délivrance de la servitude d’Égypte et une louange à la victoire du Sauveur. En chaque Eucharistie, l’assemblée chrétienne proclame que Jésus est notre Sauveur et fait l’expérience du salut accompli. Elle participe effectivement aux fruits de la mort du Sauveur. Mais plus encore, l’assemblée eucharistique proclame sa foi dans la victoire du Christ, la libération du péché.
Voilà qui explique la place centrale de l’Eucharistie dans le culte de l’Église. Le repas des sauvés d’aujourd’hui devient de ce fait comme le repas des bienheureux de demain. « Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’ au jour où je boirai le vin nouveau dans le Royaume de Dieu. »