Autour d’une bouteille de vin, deux couples dans la quarantaine conversent à bâton rompu. Les enfants sont couchés, ils ont le temps de souffler un peu. Pierre et Marie-Josée, mariés depuis 15 ans, ont trois enfants. Anne et Sylvain vivent ensemble depuis 4 ans avec les enfants issus d’une précédente union. Les amis de longue date parlent ensemble de leur vie de couple. Anne taquine Marie-Josée au sujet d’une petite prise de bec qu’elle vient d’avoir avec son mari :
– As-tu remarqué, Marie-Josée, que vous répétez souvent les mêmes phrases quand vous vous chicanez?
En pouffant de rire, Marie-Josée répond :
– Je sais, on dirait parfois un disque rayé. Pierre me reproche toujours les mêmes choses, et moi aussi.
Pierre renchérit :
– Même si nous travaillons depuis longtemps à bien communiquer ensemble, il suffit que nous soyons fatigués ou anxieux pour tomber dans le piège.
Anne remarque :
– Mais vous n’aviez pas l’air de prendre ça au tragique.
Et Marie-Josée d’ajouter :
– Tu sais, Anne, vous deux n’êtes pas tellement différents de nous.
Anne éclate de rire :
– Tu as raison, quand j’y pense. C’est plutôt drôle, n’est-ce pas? J’imagine que nous avons parfois l’air parfaitement ridicules.
Sylvain continue :
– Tellement ridicules que nous sommes les premiers à en rire! Peut-être sommes-nous encore ensemble justement parce que nous savons rire de nous-mêmes?
Et si le rire de ces couples révélait une forme de sagesse inédite? Pour rire de soi comme le font ces couples, une grande confiance doit régner : saine estime de soi, confiance en l’autre et en la relation qui nous unit. Toute personne entre en relation avec des comportements, des patterns relationnels, des traits de personnalité déjà formés, que la croissance humaine et spirituelle des conjoints pourra certes améliorer mais pas effacer. Les différences de sensibilité, de rythme, de goûts et d’attitudes demeurent, quoi que l’on fasse. Le défi consiste à apprendre à accepter et respecter en soi, comme en l’autre, ce que l’on ne peut changer. L’humour de Pierre et Marie-Josée, Anne et Sylvain ne reflète-t-il pas la capacité de s’aimer mutuellement avec ses imperfections? Cela suppose d’apprendre à se reconnaître soi-même vulnérable et limité, se remettre en question et accueillir les pauvretés de l’autre sans les retourner comme une arme contre lui ou contre elle.
Finalement, les couples qui savent rire d’eux-mêmes ensemble ne manifestent-ils pas une ouverture au travail de l’Esprit-Saint dans leur relation? Le rire partagé est un moment de libération qui dénoue les tensions, et parfois peut-être même un temps de grâce. Ne pourrait-on reconnaître un véritable fruit de l’Esprit dans un tel apprentissage de la tolérance mutuelle et de la patience envers soi-même? À travers la recherche d’une relation conjugale saine, un horizon plus large se dessine : découvrir que les pauvretés partagées ensemble forment une voie commune vers le Dieu de la joie, de la réconciliation et de la résurrection.