Dernièrement, lors d’une entrevue télévisée, un philosophe influent proclamait qu’il était devenu panthéiste. Fier panthéiste même.
On appelle «panthéisme» «toute doctrine métaphysique ou religieuse qui, niant l’idée d’un dieu créateur et transcendant, identifie Dieu et le monde» (Jacqueline LAGRÉE, art. «Panthéisme», dans Jean-Yves LACOSTE, dir., Dictionnaire critique de théologie, Paris, Quadrige/PUF, 1998, p. 848) Autrement dit, toute la nature est divinité et Dieu n’est rien d’autre que l’ensemble de ce qui existe, l’ensemble du cosmos, de la nature. Il peut être trouvé dans la moindre parcelle de matière comme il correspond à l’ensemble.
Que le philosophe en question soit devenu panthéiste m’étonne. N’est-ce pas une régression vers l’obscurantisme des paganismes anciens. Le monothéisme – en particulier le christianisme – a dégagé la divinité du réel que constitue la nature, le cosmos, tout ce qui nous entoure. Il l’a placé au-dessus de la mêlée. Dieu est le Tout Autre. Du même coup, la nature s’est vue devenir, d’une certaine façon, elle-même, sans dépendance extérieure, affranchie de la divinité.
«Il fallait que les astres fussent déchus du rang divin où l’antiquité les avait placés, il fallait qu’une révolution théologique se fût produite. Cette révolution sera l’oeuvre de la théologie chrétienne. la science moderne a été allumée par une étincelle jaillie du choc entre la théologie du paganisme hellénique et la théologie du christianisme.« (Pierre DUHEM, Le Système du monde. Histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic, Hermann, tome II, p. 453)
La religion chrétienne a donc donné naissance à la véritable science, une science autonome. Elle a permis à la raison d’exercer son activité par elle-même, dans toute sa rationalité. Elle a dégagé la connaissance et lui a donné toute sa liberté. Nietzsche le reconnaissait lui-même dans son ouvrage le Gai Savoir:
«C’est encore et toujours une croyance métaphysique sur quoi repose notre croyance en la science – et nous autres sans dieu et antimétaphysiciens, nous puisons encore notre feu à l’incendie qu’une croyance millénaire a enflammé, cette croyance chrétienne qui était aussi celle de Platon, la croyance que Dieu est la vérité, que la vérité est divine…» (NIETZSCHE, Oeuvres philosophiques complètes, vol. V, Gai Savoir, Paris, Gallimard, p. 238)
Les savants peuvent étudier la nature pour elle-même. Ils découvrent les lois qui la régissent, lois qui sont observables et jusqu’à un certain point contrôlables. Ainsi, l’oiseau ne vole pas par un miracle divin mais grâce à la composition de son corps, aux possibilités de ses ailes… La fleur se développe selon certaines règles qui lui sont internes. Le pissenlit ne peut devenir un moineau ni le moineau remplacer le béton d’un gratte-ciel. Chaque être a ses forces personnelles et ses limites propres.
Grâce à la foi monothéiste, on a vu apparaître des scientifiques qui se penchent sur la nature et en développent toutes les possibilités sans faire appel à des croyances religieuses ou à la théologie.
Jean-Claude Guillebaud, qui m’inspire cette réflexion, attire par ailleurs notre attention sur un danger qui guette les savants, ceux d’aujourd’hui comme ceux d’hier:
«L’un des principaux dangers qui menacent la démarche scientifique, ce n’est pas seulement le religieux qui s’opposerait à elle, mais bien plutôt la religion qui l’habite, du moins quand elle se dogmatise.» (Jean-Claude GUILLEBAUD, La force de conviction, Paris, Seuil, p. 195)
Cette divinisation de la science, il me semble qu’elle s’apparente à la démarche des créationistes américains qui, d’une part, nient catégoriquement l’évolution comme le conçoit Darwin, mais, d’autre part, prennent au pied de la lettre, les récits bibliques de la création du monde comme s’ils étaient des reportages journalistiques.
La science et la foi ne s’opposent pas. Chacune est libre en son domaine. Elle suit ses propres lois et prend les chemins qui lui sont personnels. Les démarches sont différentes mais l’une et l’autre peuvent séjourner ensemble dans notre vie. En nous, le savant et le croyant peuvent cohabiter sans conflit.
Denis Gagnon, o.p.