Jésus de Nazareth est bel et bien mort et il fut déposé dans un tombeau. La mort a été constatée et le témoignage ne peut être mis en doute: en fin d’après-midi du vendredi, quelques heures avant la Pâque, les soldats «constatèrent qu’il était déjà mort et ils ne lui brisèrent pas les jambes. Mais un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau.» (Jean 19, 33-34) Et l’auteur du quatrième évangile d’ajouter: «Celui qui a vu a rendu témoignage, et son témoignage est conforme à la vérité, et d’ailleurs Celui-là sait qu’il dit ce qui est vrai, afin que vous aussi vous croyiez.» (19, 35)
Mais voilà que le dimanche matin, on découvre le tombeau vide. Il est ressuscité. Ressuscité d’entre les morts! Mais personne n’a été témoin du phénomène. Les soldats, postés près du condamné n’ont rien vu. Les disciples, du plus convaincu au plus fragile, n’étaient pas là.
Le phénomène s’est donc présenté dans le secret le plus total. L’événement le plus bouleversant de l’histoire de l’humanité s’est produit dans la plus grande intimité entre Dieu et Jésus. Nous n’avons pas de preuve; nous n’avons que des indices qui pourraient appuyer d’autres hypothèses. Nous sommes donc contraints à la foi, et à la foi dans tout son dépouillement. Pas le moindre petit appui rationnel.
Le fait a eu des suites cependant. Le ressuscité a rencontré Marie Madeleine dans le jardin, le matin même. Il a rejoint les siens le soir de ce jour. Il a fait un bout de chemin avec deux d’entre eux sur la route vers Emmaüs. Paul résume: «Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais reçu moi-même: Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures. Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures. Il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cent frères à la fois; la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. En tout dernier lieu, il m’est apparu, à moi l’avorton.» (1 Corinthiens 15, 3-8) C’est beaucoup de monde. Il pouvait bien y avoir quelques fêlés du cerveau dans le groupe, mais sûrement pas tous.
Nous sommes donc invités à croire. Mais qu’est-ce que cela peut bien changer dans une vie: croire que le Christ est ressuscité d’entre les morts? Tout et rien en même temps! Tout: parce que cela ouvre une brèche dans le mur aux frontières de l’existence. Elles sont nombreuses les frontières qui nous limitent. Nous sommes retenus dans notre désir de liberté. Nous désirons aimer sans mesure. Nous voulons vaincre tout ce qui attaque notre bonheur. Nous cherchons à dépasser la maladie, la souffrance, le malheur. De savoir que la mort a été vaincue dans un homme, un des nôtres, notre chair et nos os, c’est en espérer autant pour nous-mêmes. Ça donne des ailes.
Cependant, nous demeurons faillibles, faibles, fragiles. La foi n’a pas l’air de changer quoi que ce soit dans nos attitudes et nos comportements. Nous ne nous distinguons pas des autres. Une lettre du deuxième siècle l’atteste: «Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes. Car ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils n’emploient pas quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier.» (Lettre à Diognète)
Ceux et celles qui croient que le Christ est ressuscité d’entre les morts vivent comme tout le monde. Apparemment, rien n’a changé. Mais, comme du levain dans la pâte, ils soulèvent le monde de leur espérance. Dans le courage qui les maintient debout au plus fort des tempêtes, il y a quelque chose qui leur vient de leur foi en la résurrection. Dans les combats audacieux qu’ils partagent avec d’autres, ils fournissent l’élan de leur confiance en l’avenir, confiance dans les dépassements possibles des êtres humains. Parce qu’ils croient que Dieu est solidaire de leurs projets, ils deviennent créateurs, et créateurs féconds.
Leurs engagements pour l’humain et pour le monde, ils les vivent comme les autres, de la même façon et pour les mêmes raisons. Mais une part – peut-être même une grande part – de la vitalité du monde vient de leur foi dynamique et de leur audace confiante. La résurrection du Christ s’est faite dans la discrétion. La foi de ses disciples se vit dans une pareille discrétion. Mais cette force discrète peut transformer le monde. Un rayon d’espérance, c’est déjà moins de brouillard. Une goutte d’audace, c’est moins de lâcheté. Un peu de courage et la vie dépasse des frontières.
Tout a commencé dans la discrétion d’un jardin triste et froid pour que le monde fleurisse sous le chaud soleil de la vie plus forte que la mort.
Denis Gagnon, o.p.