Victoire prometteuse
Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert. Et dans le désert il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient. Après l’arrestation de Jean Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer la Bonne Nouvelle de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. »
Commentaire :
Carême, temps de croissance pour l’Église et les chrétiens qui en font un choix personnel. Lente ascension vers les fêtes pascales. L’organisation de ce temps de grâces s’est faite à partir de Jésus Christ mort et ressuscité. L’aménagement de la cinquantaine pascale, soit de Pâque à la Pentecôte, suivit cette préparation pascale. Au début, dans la perspective de la fête, les chrétiens faisaient trois jours de jeûne pour célébrer la mort, l’ensevelissement et la résurrection du Christ. Puis la préparation s’étendit à la semaine précédant Pâque, « semaine de la Passion » au cours de laquelle les récits de la Passion étaient proclamés. Dans le cours des temps, on étendit la préparation à trois semaines au cours desquelles ont faisait une lecture continue de l’ « Évangile selon saint Jean » pour rappeler, outre la tension entre Jésus et les Pharisiens, les grands thèmes baptismaux. Au IVe siècle, un Carême de quarante jours fut promulgué, question de rappeler le temps passé par Jésus au désert, évocation des quarante années de la traversée du désert par le Peuple élu. Au cours de cette période, les dimanches, mercredis et vendredis faisaient l’objet d’une liturgie plus élaborée. Avec le concile Vatican II, les responsables retouchèrent, pour la simplifier, la structure d’ensemble du Carême. Avec la suppression des dimanches de la Septuagésime, Sexagésime et Quinquagésime, que les plus anciens parmi nous ont vécus, le Carême commença le mercredi des Cendres jusqu’à la messe du jeudi saint. Il comprend alors six dimanches, le 5e n’étant plus appelé « Dimanche de la Passion », alors que le 6e devient le « Dimanche des Rameaux et de la Passion ». Le jeûne est de mise le mercredi des Cendres et le vendredi saint. Les évangiles des deux premiers dimanches sont centrés sur le Christ : jeûne et tentation au désert puis transfiguration. Les trois autres préparent au Baptême ou à la profession de foi dans la nuit de Pâques : évangiles de la Samaritaine, de l’aveugle-né et de la résurrection de Lazare.
Si l’année « A » permet de vivre un Carême tout orienté vers le Baptême, et l’année «C» plutôt vers la pénitence, l’année « B » que nous vivons présentement est centrée sur la personne du Christ. Comment comprendre notre vocation de baptisé et notre condition de fils et de fille de Dieu inlassablement pardonné, sans fixer notre regard sur Jésus Christ ? Les évangiles du dimanche en cette année « B » font progressivement apparaître les diverses facettes du mystère du Christ. En lui, particulièrement en ce temps de conversion, tout parle de Dieu : sa force dans l’épreuve, la Transfiguration de son être, la signe du Temple relevé dans une réalité toute autre, la mission du Fils et l’heure de l’accomplissement. Faut-il rappeler que cette liturgie dominicale en Carême devait être avant tout une temps d’écoute et de réflexion sur la Parole de Dieu, un lieu de prière simple, de louange et d’action de grâce. Une montée vers Pâques, résurrection, libération et joie, telle sera l’objet de ces commentaires sur les évangiles du Carême.
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Le récit de le Tentation chez Marc est d’une rare simplicité : l’Esprit mène Jésus au désert pour y être tenté. Ce dépouillement du récit évangélique ne facilite pas l’analyse du texte. Comme pour Matthieu et Luc, le récit de Marc précède immédiatement le retour de Jésus en Galilée et les débuts de son ministère public. Le séjour du Christ au désert, conclusion au récit du Baptême, semble le véritable objet du récit de la tentation ; ces quarante l’évocation évidente de l’Exode d’Israël et de ses quarante ans passés au désert. La présence des anges serait-elle une sorte de prospective des temps paradisiaques où la création enfin réconciliée sera de nouveau ordonnée à l’homme selon Dieu ? (Ex. 34,28 ; 1 R.19,5-8) Il fait bon de relire ici certains passages de la lettre de Paul au Corinthiens (1 Co.10,1-13) et de son épître aux Colossiens (2,14-15). La Passion et la croix demeurent en Marc le terme d’un ministère dont le commencement coïncide avec le Baptême suivi de la tentation surmontée.
Il importe de bien saisir le sens de ce récit de la Tentation tel que lu dans le milieu même où il a été conçu et proclamé une première fois, soit dans la deuxième moitié du premier siècle : expression de foi en Jésus vainqueur du diable. Puissions-nous être appelés à notre tour à prendre au sérieux quelques questions que l’actualité pose à notre foi en Jésus et les tentations qu’elle oppose à notre engagement à suivre le Christ.
Qui pourrait assurer que ces récits primitifs n’ont pas été écrits comme réponse aux grandes questions du temps, en somme nos propres questions ? Attendre du Christ des signes prodigieux a toujours été la grande tentation de ses fidèles immédiats : « Quels signes fais-tu pour que nous croyons en toi ? ». D’autres déçus d’une attente vaine et interminable vivent apparemment la tentation du désert. Enfin un troisième groupe, pris d’angoisse au sujet d’un Christ si facilement rejeté par les siens au moment de la Passion, ne sait plus que penser. Ce Jésus était-il vraiment le Fils de Dieu tel qu’on l’avait enseigné ? N’allait-on pas succomber là où tout un peuple avait déjà péché ? Est-il dans la normalité des choses que ceux et celles qui désirent suivre le Christ aient à vivre semblables tentations ? Celles-ci peuvent très bien venir également de fausses interprétations des l’Écritures, ce sur quoi Jésus au désert prend Satan en défaut à chacune de ses interventions.
La place de ce récit au début des évangiles doit être prise très au sérieux, nul ne pourra dès lors les ignorer. Durant des siècles, les chercheurs se sont battus autour de la question sur la nature du Christ et sa personnalité, vrai Dieu ou vrai homme, avant d’arriver à la conclusion : vrai Dieu et vrai homme. Mais il serait erroné de croire que ce ne fut là qu’une question disputée autour d’un dogme. C’était vraiment notre foi en Jésus qui était alors questionnée : Jésus, l’homme à tout faire au cœur de nos misères, ou l’homme à suivre pour arriver au salut de l’humanité.
Jésus a vaincu la tentation de la facilité. Dès ses premiers pas, il a triomphé de Satan. Cette victoire représente un choix qui va inspirer et soutenir toutes ses autres batailles, même celle de la croix. Ce qui se jouait ces jours-là entre Satan et Jésus au désert engageait définitivement tout l’avenir et notre avenir. Sur cette victoire repose chacun de nos engagements. Ce n’est plus la défaite d.un peuple qui doit nous remplir d’hésitation, mais la victoire d’un homme appelé Jésus qui nous remplit d’espérance et de grâce.