Roger Schütz était le neuvième enfant d’une famille protestante.Son père, pasteur, était suisse (Zurich) et sa mère était originaire de Bourgogne (France).Il entrepris des études de théologie réformée aux universités de Strasbourg et de Lausanne. En 1940, à l’âge de 25 ans, il quitta la Suisse et vint s’installer au petit village de Taizé en Bourgogne, poussé par un appel à créer une communauté où se vivrait la réconciliation entre chrétiens. Avec l’arrivée de quelques frères, la communauté de Taizé fut fondée en 1949 ; frère Roger en écrivit la Règle. Depuis la fin des années cinquante, des milliers de jeunes du monde entier et de toute appartenance religieuse viennent s’unir à la prière et la réflexion alimentées par frère Roger et sa communauté monastique. Frère Roger est mort assassiné pendant la prière du soir le 16 août 2005 .
Longtemps avant le Christ, un croyant adressait cette invitation : « Quitte ta tristesse, laisse Dieu te conduire vers une joie. »
Quand les hésitations, ou même les doutes, enlèvent la joie de Dieu en nous, ne nous inquiétons pas ! Bien souvent ce ne sont que des trous d’incrédulité, rien de plus.
Quelles que soient nos opacités, l’humble, la toute humble confiance en Dieu passe et repasse en nous comme un courant de vie.
Et peut naître cette prière : « Jésus le Christ, Lumière intérieure, ne laisse pas mes ténèbres me parler ! » Ces paroles ont été écrites au IVe siècle par un chrétien d’Afrique du Nord, saint Augustin, alors que la mort avait frappé plusieurs des siens.
Quand nos ténèbres se mettent à nous parler, elles en viennent à provoquer un vertige.
Traverserions-nous des périodes desséchées ? Avec presque rien peut s’épanouir une fleur de désert, joie inespérée.
Joie du pardon
Ce qui est saisissant dans l’Évangile, c’est le pardon, celui que Dieu donne, et celui qu’il nous invite à nous donner les uns aux autres.
En Dieu, nulle volonté de punition. Tout lui confier, jusqu’à l’inquiétude. Alors nous nous découvrons aimés par lui, réconfortés, guéris.
L’Évangile contient des paroles qui coupent le souffle : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous font du mal. »
Aimer et pardonner : là se trouve une des sources de la joie.
Quand nous pardonnons, notre vie se met à changer. Les sévérités elles-mêmes font place à une infinie bonté.
Qui aspire à vivre du pardon cherche plus à écouter qu’à convaincre, plus à comprendre qu’à s’imposer.
Pour ma part, dans ma jeunesse, en cette période où il y avait tant de déchirures à travers le monde, je m’interrogeais : pourquoi ces jugements, ces oppositions entre les humains, entre les chrétiens eux-mêmes ?
Un jour que je peux dater, dans la lumière tamisée d’un soir de fin d’été, alors que les ombres descendaient sur la campagne, je me dis : commence par toi-même, engage-toi à ne pas porter de jugements sévères, cherche à comprendre plutôt qu’à être compris, et tu y trouveras une joie. J’avais à peu près dix-sept ans. Ce jour-là, j’eus l’espérance que cette résolution vaudrait pour toujours.
Une si belle espérance
L’Évangile porte en lui une si belle espérance que nous pouvons y trouver une joie de l’âme.
Cette espérance est comme une trouée de lumière qui s’ouvre en nos profondeurs. Elle suscite un élan jusque dans des situations apparemment sans issue.
S’il y a des moments où la joie s’estompe, l’espérance peut se renouveler quand nous nous confions tout humblement à Dieu.
Il est une force intérieure qui nous habite, la mystérieuse présence de l’Esprit Saint. Il murmure en nos coeurs : « Abandonne-toi à Dieu en toute simplicité, ton peu de foi y suffit. »
Qui est-il, cet Esprit Saint ? Il est celui dont Jésus le Christ a dit dans l’Évangile de saint Jean : « Je ne vous laisserai jamais seuls, je vous enverrai l’Esprit Saint, il sera un soutien et un consolateur, il restera avec vous pour toujours. »
Pensons-nous être seuls ? L’Esprit Saint est là. Sa présence est invisible mais elle ne nous quitte pas. Il est le souffle de Dieu, toujours offert. Tel le vent, nous ne le voyons pas, mais nous pouvons percevoir son passage. Il vient délivrer du découragement. Il rend le goût de la vie à ceux qui le perdent.
Joie jusque dans l’épreuve
Comment demeurer dans une joie quand, près de nous, certains traversent l’incompréhensible épreuve ?
Un théologien orthodoxe, Olivier Clément, répond : « La joie du Christ ressuscité ne va pas nous rendre insensibles à la souffrance des autres. Au contraire, elle nous rendra encore plus sensibles, et nous pourrons en même temps porter au fond de nous cette grande joie et entrer profondément dans la détresse et dans la souffrance du prochain. Il n’y a pas de contradiction : la joie ne s’oppose pas à la compassion. Je dirais même qu’elle la nourrit. » Jamais dans l’Évangile le Christ n’invite à la tristesse. Au contraire, il appelle même à une jubilation dans l’Esprit Saint.
Un jeune Africain, venu à Taizé pour un an, a un jour exprimé comment il avait peu à peu découvert une joie, à la suite d’une lourde épreuve. Lorsqu’il avait sept ans, son père avait été tué. Et sa mère avait dû s’enfuir très loin. Il disait : « L’amour de mes parents m’a manqué dès mon enfance. J’ai alors cherché une joie intérieure, espérant puiser une force dans cette souffrance. Cela m’a permis de sortir de la solitude. La joie modifie les relations quotidiennes. » n’invite à la tristesse. Au contraire, il appelle même à une jubilation dans l’Esprit Saint.9is de sortir de la solitude. La joie modifie les relations quotidiennes. »
La joie et la bonté du cœur
Un jour, je demandais à un jeune ce qui, à ses yeux, était le plus essentiel pour soutenir sa vie. Il a répondu : « La joie et la bonté du cœur. »
L’inquiétude, la peur de souffrir, peuvent enlever la joie .Quand monte en nous une joie puisée à l’Évangile, elle apporte un souffle de vie.
Cette joie, ce n’est pas nous qui la créons, elle est un don de l’Esprit Saint.. Elle est sans cesse réanimée par le regard de confiance que Dieu porte sur nos vies.
Loin d’être naïve, la bonté du cœur suppose une vigilance. Elle peut conduire à prendre des risques. Elle ne laisse place à aucun mépris pour l’autre.
Elle rend attentif aux plus démunis, à ceux qui souffrent, à la peine des enfants. Elle sait exprimer par le visage, par le ton de la parole, que tout être humain a besoin d’être aimé.
Lors d’une visite à Taizé, le philosophe Paul Ricœur disait : « La bonté est plus profonde que le mal le plus profond. Aussi radical que soit le mal, il n’est pas aussi profond que la bonté. »
Oui, Dieu nous donne de cheminer avec, au fond de l’âme, l’étincelle de bonté qui ne demande qu’à devenir flamme.
Ma mère demeure pour moi un témoin de la joie et de la bonté du cœur. Elle avait appris dès son enfance la bienveillance pour chacun : dans sa famille on se refusait à défigurer les autres par une parole qui ridiculise ou qui porte un jugement sévère.
Elle donnait à ses propres enfants une confiance totale. Au long de l’existence, même si des épreuves nous interrogent sur nous-mêmes, nous font découvrir nos limites, ce don irremplaçable demeure : « Tu peux avoir confiance en toi. » C’était ce que voulait transmettre ma mère à chacun de ses neuf enfants.
Elle rayonnait d’une grande paix et cela provenait des épreuves qu’elle avait traversées. Si elle apprenait un événement difficile, elle attendait quelques instants que la tranquillité revienne, puis elle reprenait un autre sujet, tout simplement comme si rien ne s’était passé. Il n’y avait aucune attitude exaltée en elle, mais elle avait une joie des profondeurs. Elle semblait conserver comme une plénitude de paix. Pourtant elle m’a dit quelquefois : « Vous croyez que la paix intérieure demeure toujours en moi, alors qu’il y a une lutte profonde.