À 16 ans, Gurbaj Singh Multani fait la une des journaux canadiens. La Cour suprême du Canada vient de lui permettre de porter son kirpan à l’école. Ce jeune sikh et ses coreligionnaires accueillent la décision avec joie. Le jugement survient au terme d’une longue saga. Celle-ci a pris naissance à l’école secondaire Sainte-Catherine-Labouré à Montréal. Elle s’est poursuivie en cour où un jugement de la Cour d’appel du Québec a reconnu à l’école le droit d’interdire tout port d’arme dans son institution, y compris le kirpan.
La Cour suprême renverse ce jugement: «La tolérance religieuse constitue une valeur très importante au sein de la société canadienne. Si des élèves considèrent injuste que Gurbaj Singh puisse porter son kirpan à l’école alors qu’on leur interdit d’avoir des couteaux en leur possession, il incombe aux écoles de remplir leur obligation d’inculquer à leurs élèves cette valeur qui est à la base même de notre démocratie.» Et la juge Louise Charron d’ajouter: «La prohibition totale de porter le kirpan à l’école dévalorise ce symbole religieux et envoie aux élèves le message que certaines pratiques religieuses ne méritent pas la même protection que d’autres». On respecte ainsi la Charte canadienne des droits et libertés.
Le kirpan est apparu dans la religion sikhe vers 1699, à l’initiative du guru Govind Räï, fondateur d’une théocratie militaire. À la base de celle-ci se trouve la Khälsä, ce qui signifie «Pureté». Hommes et femmes reçoivent un baptême initiatique par une aspersion d’un liquide composé d’eau et de sucre, mélangés avec une épée à deux tranchants. Le geste est accompagné de prières qui consacrent ainsi l’épée. L’arme est devenue symbole de la justice et rend obligatoire pour celui ou celle qui la porte le devoir de venir en aide aux plus faibles. Il semble qu’il soit interdit de s’en servir pour se défendre ou pour attaquer d’autres humains. L’objet est avant tout un objet symbolique.
En portant le kirpan, chaque croyant exprime son identité sikhe. L’objet le distingue des autres croyants. En pratique, porter le kirpan, c’est faire une profession de foi.
Il en va de même lorsque la femme musulmane porte le hijab, que nous appelons souvent le voile islamique, ou la burka, long vêtement qui recouvre le corps de la femme, de la tête aux pieds. En bons occidentaux que nous sommes, nous croyons que ce geste est avant tout un moyen d’assujettir la femme. Nos protestations vont en ce sens. Le Coran – et les croyants musulmans avec lui – voit la chose différemment. «Ô Prophète, demande à vos épouses et à vos filles, de même qu’aux femmes croyantes de se couvrir de leurs vêtements (quand elles sortent ou qu’elle se trouvent parmi des hommes). C’est la meilleure façon d’être reconnues (comme musulmanes) et de ne pas être gênées.» (Coran 33:59) Ailleurs, le livre sacré dit: «Cela est plus décent pour vos coeurs et leurs coeurs» (33:53). Le Coran ne semble pas obliger le port du voile ou de la burka. C’est avant tout un moyen de préserver le respect et de favoriser les relations chastes entre les personnes. Pour les musulmanes qui choisissent de les porter, c’est une façon d’afficher leur foi musulmane.
Les juifs croyants portent les teffilin, des phylactères, Ils fixent à leur front comme à leur bras des versets de la Torah. Ils portent constamment – à l’intérieur comme à l’extérieur – la kippa, une petite calotte, ou carrément un chapeau. Cela serait impoli dans notre contexte culturel. Pour eux, le port d’un couvre-chef exprime plutôt la crainte de Dieu et la reconnaissance de sa présence constante auprès de chaque juif.
Les chrétiens ont leurs symboles, eux aussi. Combien de disciples du Christ portent une petite croix à leur cou. Des ecclésiastiques déambulent en collet romain. Des religieuses portent un voile ou une brochette qui identifie leur tradition religieuse.
On voit de plus en plus de croyants s’afficher clairement. Parfois ostensiblement, souvent dans la discrétion. C’est devenu de bon ton d’affirmer publiquement son appartenance religieuse. De plus en plus de personnages publics, des artistes, des députés, des vedettes disent ouvertement qu’ils ont la foi, qu’il leur arrive de prier et même d’avoir une pratique religieuse régulière. Comme disent les Français, ils font leur «coming out»! Sans scrupule, sans respect humain. Fièrement et parfois courageusement.
À l’époque où j’étais responsable de la formation des futurs dominicains, certains novices aimaient beaucoup se montrer en public dans leur habit blanc. Je trouvais important de leur dire: «En portant l’habit dominicain, vous pouvez affirmer votre appartenance à l’Ordre. N’oubliez pas cependant que cet habit est davantage un programme à réaliser qu’un état d’être que vous pensez avoir atteint.»
Les grands symboles religieux portés pour se distinguer et s’affirmer disent moins le chemin parcouru que la route qu’il reste à marcher. Une itinéraire à franchir plutôt qu’un point d’arrivée. Avant tout, un idéal à rechercher.
Denis Gagnon, o.p.