Changer de pelage
De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle. Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement, celui qui ne veut pas croire est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici : quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. En effet, tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres ne lui soient reprochées ; mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses oeuvres soient reconnues comme des oeuvres de Dieu. »
Commentaire :
Dernière partie de l’entretien de Jésus avec Nicodème. Jésus avait conclu : « En vérité, en vérité, je te le dis, nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu » (11), mais, conclue-t-il, vous ne recevez pas notre témoignage ». Ce thème de l’exaltation du Fils de l’homme a une grande portée dans le 4e évangile (3,14 ; 8,28 ; 12,32-34). Jean parle ici non de l’Ascension, mais de l’élévation sur la croix. Pour en manifester l’efficacité, il fait un rapprochement avec le serpent d’airain élevé par Moïse dans le désert (Nb. 21,8-9). Les Hébreux qui le regardaient avec confiance, comme signe de la miséricorde et de la puissance divine, étaient sauvés. « Afin que tout homme qui croit en lui ait la vie éternelle » : Jésus crucifié sauvera tous ceux qui croient en lui.
L’œuvre de salut accompli par le Christ manifeste l’amour du Père, c’est là une idée chère à l’évangéliste Jean (1 Jn.3,16 ; 4, 9-10,16). La personne du Fils en tant que Sauveur de l’humanité est le don du Père, la mission du Fils dans le monde pour combler l’abîme séparant Dieu du monde exprime cette générosité divine. Mais ce don comporte l’exaltation sur la croix. Ainsi la libéralité divine atteint son paroxysme.
Le monde pour lequel le Père donne son Fils n’est pas mauvais en soi, il le deviendra par sa propre volonté s’il refuse la lumière et ne croit pas au Fils (Jn. 12,46-48, 16,8-9) L’opposition se durcit en cours de route et atteint un sommet lorsque le monde adhère au leadership de Satan (Jn.13). Le dessein de Dieu couvre le monde en son entier : « Afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point mais ait la vie éternelle. Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde par lui soit sauvé. » (17). La mission du Fils est vraiment ordonnée au salut de l’humanité et non à sa condamnation. (12,47). Tant qu’il demeure parmi nous, le Fils n’a d’autre préoccupation que de nous sauver ; la condamnation et le jugement sont reportés à la fin des temps. L’Église ne doit pas se comporter différemment, elle doit être sans cesse tournée vers le salut de tous les humains.
S’il doit y avoir jugement et condamnation, la confrontation des hommes avec le Christ en est l’objet. Selon Jean, la vie de Jésus se déroule comme un long procès. Et la révélation progressive de ses actes et paroles trame le déroulement de ce procès selon que les hommes croient en lui ou le rejettent. La révélation apportée par Jésus tient l’humanité en état d’alerte : tout aboutira à une séparation et un jugement. La parole de Jésus oblige chacun à découvrir son vrai visage et faire son choix. « Qui croit en lui n’est pas condamné, qui ne croit pas est déjà condamné parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu » (18) Le croyant doit rester, demeurer dans la foi, car la condamnation est toujours possible selon la vérité et la fidélité de son engagement à suivre le Christ. Ce n’est pas le Christ qui jugera, mais la situation résultant de notre choix personnel : « Le jugement le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises » (10) Pourquoi cette préférence des ténèbres à la lumière : « Parce qu leurs œuvres sont mauvaises ». La méchanceté de l’homme le rend susceptible d’incrédulité : « En effet quiconque fait le mal, hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dévoilées » (20). Le conflit entre lumière et ténèbres a donc pour champ de bataille le cœur de chacun : « Celui qui agit dans la vérité vient à la lumière, pour qu’apparaisse au grand jour que ses œuvres sont faites en Dieu » (21).
Venu trouver Jésus, Nicodème apprend que les hommes doivent abandonner les ténèbres et marcher dans la lumière, à la suite du Christ. Un bref moment, Nicodème marche dans la lumière, pour disparaître comme il était venu, incapable de faire le pas qui aurait pu tout changer dans sa vie. « Un éthiopien peut-il changer de peau, une panthère de pelage » avait interrogé Jérémie ? (13,13)
N’est-ce pas également l’interpellation de toute une vie ?