Dans une lettre aux Corinthiens, saint Paul parle du mariage. Au premier abord, le ton est à la dépression. On dirait que saint Paul fait l’expérience d’une vie matrimoniale pesante, difficile. Comme on dit souvent, il semble «avoir la corde au cou»! «Celui qui est marié a le souci des affaires du monde, il cherche comment plaire à sa femme, et il est partagé… La femme mariée a le souci des affaires du monde, elle cherche comment plaire à son mari.» (1 Corinthiens 7, 33.35) Un peu auparavant, l’Apôtre va jusqu’à écrire: «Je dis donc aux célibataires et aux veuves qu’il est bon de rester ainsi, comme moi.» (v. 8) Décidément, ces propos ne vont pas faire disparaître les accusations de «vieux garçon misogyne» dont on affuble saint Paul! Et ils ne sont pas très encourageants pour ceux et celles qui ont trouvé l’âme soeur ou qui sont en train de la chercher. Les rêves de grande aventure amoureuse en prennent pour leur rhume.
Au moment où il écrit aux Corinthiens, Paul pense que le retour du Seigneur est éminent, que le monde tire à sa fin.«Le temps est écourté», dit-il (v. 29). Le seul souci qui doit occuper nos esprits, nos coeurs et même nos corps, ce doit être le Seigneur. «Je voudrais que vous soyez exempts de soucis. Celui qui n’est pas marié a souci des affaires du Seigneur: il cherche comment plaire au Seigneur.» (v. 32)
L’Apôtre est moins absolu quand il dit: «Que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. Que le mari remplisse ses devoirs envers sa femme, et que la femme fasse de même envers son mari. Ce n’est pas la femme qui dispose de son corps, c’est son mari. De même ce n’est pas le mari qui dispose de son corps, c’est sa femme. Ne vous refusez pas l’un à l’autre, sauf d’un commun accord et temporairement, afin de vous consacrer à la prière; puis retournez ensemble.» (v.2-5) Ce commun accord et cette harmonie du couple, nous croyons qu’il se fonde sur l’amour. Malheureusement, saint Paul le propose pour un motif moins reluisant: «… pour éviter tout dérèglement… de peur que votre incapacité à vous maîtriser ne donne à Satan l’occasion de vous tenter…» (v. 2.5) L’homme et la femme font vie commune d’abord et avant tout pour construire l’amour ensemble et non pour éviter des dérèglements sexuels.
C’est dans une autre lettre que nous trouvons une vision du mariage non seulement plus positive mais très riche de signification, une vision que les théologiens qualifieraient de «théologale». En effet, la lettre aux Éphésiens tient un discours bien différent de celui que nous venons de présenter. Paul va même jusqu’à dire du mariage: «Ce mystère est grand: moi, je déclare qu’il concerne le Christ et l’Église.» (5, 32) Et il précise: «Vous les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ: il a aimé l’Église, il s’est livré pour elle; il voulait la rendre sainte […] C’est comme cela que le mari doit aimer sa femme: comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime soi-même.» (v. 25.28) Cet autre qui partage votre vie, vous devez l’aimer autant que vous vous aimez vous-mêmes. Jésus dirait: «Tu aimeras ton prochain, ta prochaine, comme toi-même.»
Pourquoi, parce que c’est comme cela que le Christ aime l’Église et fait alliance avec elle. Le souci que le mari a pour sa femme, celui que la femme a pour son mari, doit ressembler au souci du Christ pour l’Église. Vouloir s’aimer autant que le Christ aime son Église. Nourrir son amour à l’amour du Christ. Se livrer l’un à l’autre comme le Christ a livré son corps pour nous. Faire alliance l’un avec l’autre dans l’alliance du Christ avec l’humanité. Se rendre saint et sainte l’un par l’autre.
Oui, «ce mystère est grand!» Elle est grande, cette profonde et riche communion de l’homme et de la femme: communion de leurs esprits, communion de leurs coeurs, communion de leurs corps, dans l’alliance sainte du mariage.
Aux Éphésiens, saint Paul ne dit pas autre chose que ce que Jésus voulait exprimer quand il cita les premières lignes de la Bible: «Au commencement du monde, Dieu les fit mâle et femelle; c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair.» (Marc 10, 6-8) Et Jésus d’insister: «Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni.» (v. 8-9) L’amour entre un homme et une femme est tellement grand qu’il est aussi précieux que la vie; on doit préserver l’amour conjugal autant qu’on préserve la vie.
Denis Gagnon, o.p.