De temps à autre, le pays célèbre sa liturgie des élections. Le rituel comprend en son sommet un déplacement de la population vers les urnes installés un peu partout dans le pays. Les citoyens font une croix à côté du nom du candidat qu’ils souhaitent avoir comme député et déposent leur précieux billet. Le rite est précédé d’une longue liturgie de plusieurs semaines, constituée de discours, de palabres, de visites à domicile et dans des lieux publics, de débats contradictoires. Cette période de campagne est marquée principalement de vantardises et d’accusations. «Nous sommes les meilleurs… Ils sont les pires.», répètent constamment les orateurs. C’est presque de la vente de produits humains!
Le rituel concentre en lui-même la forme d’organisation politique adoptée par les pays où on pratique les élections. Cette politique, cette forme d’aménagement des rapports sociaux, fait partie de ce que nous appelons la démocratie. Je dis bien: «fait partie…», car la démocratie ne se limite pas à la vie politique des pays démocrates. «La démocratie n’est pas seulement une manière d’être des institutions, elle est plus encore peut-être une exigence morale.» (G. BURDEAU, article «Démocratie», dans Encyclopedia Universalis, Paris, 1978, volume 5, p. 408)
La naissance de la démocratie et la place qu’elle occupe dans un grand nombre de cultures témoignent de l’idéal qu’on se fait de l’être humain et de sa vie en société. Fondamentalement, il existe une égalité absolue entre les êtres humains, égalité qui s’inscrit entre les personnes au-delà de leurs richesses respectives, au-delà de leurs talents personnels, au-delà de leurs compétences. Au-delà aussi de leurs origines familiales ou raciales.
On définit la démocratie: «État politique dans lequel la souveraineté appartient à la totalité des citoyens, sans distinction de naissance, de fortune ou de capacité.» (A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF/Quadrige, 2002, p. 215)
Un être qui appartient à l’humanité devrait pouvoir prendre en charge sa vie, mener sa destinée, être responsable de ses actes, être créateur de son devenir. Un être humain devrait pouvoir accomplir tout cela pour lui-même comme il devrait pouvoir participer au devenir d’une société particulière. Aussi, la personne comme la société sont-elles appelées à la démocratie, au partage de la vie humaine et à la construction d’une société d’égalité et de responsabilité collective.
Avant toute autre valeur, la vie humaine est faite de liberté. La démocratie apparaît donc comme un moyen de vivre la liberté, de la susciter et de la maintenir. «Sa définition la plus simple, le gouvernement du peuple par le peuple, n’acquiert son plein sens qu’en considération de ce qu’elle exclut: le pouvoir d’une autorité qui ne procéderait pas du peuple.» (BURDEAU, op. cit., p. 409) L’engagement premier des systèmes politiques démocratiques consiste à mettre sur pied des institutions qui favorisent le plein épanouissement de la liberté humaine dans la pleine participation à la vie collective. Dans cette liberté, tous et toutes sont appelés à participer à l’édification de la cité, dans le respect des droits de chacun et dans l’attention aux devoirs qui accompagnent toujours les êtres libres.
Dans ces perspectives, la démocratie ne se contente pas de favoriser la liberté. Elle comprend l’exercice concret de la justice. Les citoyens choisissent certains d’entre eux pour définir le type de société dans laquelle l’ensemble de la population souhaite vivre. Ces élus doivent reconnaître les droits de chaque individu et établir des règles qui respectent ces droits. L’exercice de la justice demeure une tâche inhérente à la vie démocratique.
Nous pourrions parler longuement de la démocratie qui ne se limite pas au rituel des élections périodiques. Il vaudrait la peine d’en parler pour nous sensibiliser davantage au rôle que chacun doit jouer dans la société démocratique. La politique ne consiste pas à se décharger sur quelques-uns, qu’ils soient soucieux de justice ou qu’ils soient simplement des ambitieux. Le droit de voter inclut un devoir de participer à la vie politique dans des engagements concrets et, surtout, en accompagnant les députés et les gouvernements qui mènent la barque sociale, d’un mandat à l’autre.
Denis Gagnon, o.p.