Au moment où j’écris ces lignes, il neige à plein ciel. Le paysage est blanc. Quelques ombres à peine laissent supposer des maisons et des arbres derrière les rideaux de blancs flocons. La rue s’anime lentement comme un film au ralenti. À travers la poudrerie, on distingue tout juste les phares des automobiles. Les grosses souffleuses et les grattes se mettent au travail pour déblayer le plus possible. Derrière eux, la neige revient, plus folle; elle s’entête à vouloir demeurer.
Aujourd’hui, on sera en retard au travail. Les écoles étant fermées, les enfants s’en donneront à coeur joie à se rouler dans la neige, à construire des igloos, à glisser sur ce tapis qui s’épaissit à vue d’oeil. Les moins jeunes resteront à la maison, avec une bonne tisane ou un café bien chaud. Comme les ours, une partie de la population nordique hiberne et rêve au retour des temps chauds de l’été. Pendant que certains raffolent de la saison, d’autres souffrent en silence ou à grands cris de cette période de l’année qui les isolent des autres.
«Au moins, dit-on, nous aurons de la neige à Noël!» Dans la région nordique où je vis, on ne peut célébrer Noël sans la blanche neige. On la veut généreuse pour la fête. On souhaite ardemment qu’elle tombe en gros flocons durant la nuit féerique du 24 au 25 décembre, pour ceux qui passent encore de l’église à la maison du réveillon.
Dans mon pays, les fêtes font souvent appel à la nature pour composer leurs activités et créer leur atmosphère. Nous vivons au ras du sol, le nez collé aux odeurs de sapins, les doigts frileusement cachés dans nos mitaines (ce qu’on appelle ailleurs des moufles!), la tuque enfoncée par dessus les oreilles. Nous vivons en symbiose avec la nature qui nous entoure. Une sorte de communion s’établit entre le climat et nous.
Il y a là une parabole du mystère de Noël. La fête religieuse du 25 décembre fait mémoire de la naissance d’un enfant. Des milliers et des milliers d’hommes et de femmes reconnaissent en lui le Fils même de Dieu. À Noël, ils célèbrent cette venue de Dieu parmi eux. Dieu aussi humain qu’ils le sont eux-mêmes. Et à certains égards, encore plus humain.
L’événement est unique, inouï, inconcevable, inimaginable. Dieu à hauteur d’homme. Dieu aussi quotidien que le plus proche de nos proches. Dieu de nos conversations. Dieu avec nous, Emmanuel, comme l’appellent les prophètes.
La chose est tellement impensable que les contemporains et compatriotes de cet enfant divin ont parlé de blasphème. Comment oser placer Dieu à notre niveau?
Les vieux récits sacrés parlent de l’homme et de la femme comme image de Dieu, trait pour trait. La communion est si profonde de la part de Dieu que nous pourrions dire aussi que Dieu devient, à son tour, image de l’être humain. Le regard que nous pouvons porter sur Dieu nous renvoie à nous-mêmes. La parole que nous entendons de Dieu reproduit le ton de nos propres conversations. Prophètes et sages parlent alors d’alliance. Une grande convivialité s’établit entre Dieu et nous. Dieu Amour nous appelle à l’amour comme nous l’appelons nous-mêmes de tous nos voeux.
Noël, avec ou sans la neige, fête donc la communion entre le ciel et la terre, entre Dieu et nous. Dieu le Très-Haut se fait très bas. Et nous, les Très-Bas, nous sommes haussés jusqu’au coeur de Dieu. Gloire au plus haut des cieux et paix sur la terre!
Denis Gagnon, o.p.