Ces jours-ci paraît un livre qui décrit l’enfer d’une jeune artiste agressée pendant des années par son imprésario. L’auteur n’hésite pas à tout raconter jusque dans les moindres détails. Il ratisse largement, précisément, pour, il le reconnaît, rendre justice à cette victime d’un pédophile sans scrupule. Évidemment, l’entourage de la victime et de son bourreau apparaît dans le décor. Et on présente ses proches sur de plus ou moins beaux jours, y compris le frère de la jeune femme, artiste lui-même.
Les gens du Québec savent de qui je parle. Mais je n’en dirai pas davantage, même pour éclairer la lanterne des autres. Je préfère le discrétion. L’héroïne du livre a voulu publier son histoire et elle donne sa bénédiction à quiconque veut parler de son malheur. Mais je n’ai pas l’intention de vous entretenir du contenu du livre que je n’ai pas lu. D’ailleurs, je n’ai pas l’intention de le lire, essentiellement pour cette unique raison: la discrétion.
La vertu de discrétion n’occupe pas un rang très élevé de nos jours. Au contraire, beaucoup de gens raffolent des anecdotes croustillantes. Ils se complaisent dans le voyeurisme au ras des pâquerettes des journaux à sensation. Ils dégustent goulûment la télé-réalité, celles des conversations de bouts de corridor comme celles des médias.
Directement ou par caméra interposée, nous buvons avidement les émotions des autres. Une mère pleure-t-elle la mort de son enfant, vite nous nous approchons pour goûter au spectacle. Des Irakiens sortent-ils tout en sang d’un attentat, nous nous délectons de leurs blessures. L’émotion devient banale. Nous assistons froidement aux déchirures des coeurs. Un candidat perd-il ses élections, les caméras se braquent sur lui afin de saisir ses plus élémentaires réactions. S’il se contient trop, nous épions sa respiration ou le mouvement des paupières pour détecter quelque réaction particulière. Attitude semblable quand nous nous trouvons devant un accusé, ajoutant de l’acharnement quand celui-ci fait l’impossible pour cacher son visage.
La discrétion n’a plus droit de cité. Le respect de l’intimité des hommes et des femmes qui oeuvrent dans le public n’existe plus. La décence n’est pas au rendez-vous quand une vedette traverse un scandale. Au nom du droit à l’information, nous nous croyons tout permis. Il faut savoir… il faut s’éclairer… il faut être au fait…
Un être humain n’a donc pas le droit de préserver sa part de mystère? Faut-il étaler tous ses secrets? N’est-il pas assez noble pour mériter un peu de délicatesse? Devant qui que se soit, bon ou mauvais, saint ou bandit, la réserve n’est-elle pas un droit élémentaire? La retenue n’est-elle pas de bon aloi?
Chacun a droit à ses secrets. Le juge a sans doute besoin d’en connaître beaucoup, mais le simple spectateur que je suis ne changera rien au procès parce qu’il a tout vu, tout entendu, y compris ce qui est hors de portée.
Je plaide donc pour la discrétion dans les relations interpersonnelles. Je souhaite de tout coeur que le respect devienne une qualité primordiale du vivre en société. Manquer de respect envers les autres ne peut-il pas conduire à manquer de respect envers soi-même? Il me faut «reconnaître l’humanité dans la personne d’autrui comme en moi-même» (A. Kant).
Denis Gagnon, o.p.