Cortège Nuptial
« Alors, le Royaume des cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe et s’en allèrent à la rencontre de l’époux. Cinq d’entre elles étaient insensées, et cinq étaient prévoyantes : les insensées avaient pris leur lampe sans emporter d’huile, tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leur lampe, de l’huile en réserve. Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. Au milieu de la nuit, un cri se fit entendre : ‘Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.’Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et préparèrent leur lampe. Les insensées demandèrent aux prévoyantes : ‘Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.’ Les prévoyantes leur répondirent : ‘Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous ; allez plutôt vous en procurer chez les marchands.’ Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces et l’on ferma la porte. Plus tard, les autres jeunes filles arrivent à leur tour et disent : ‘Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !’ Il leur répondit : ‘Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.’ Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.
Commentaire :
Le souvenir des noces de Cana et quelques réminiscences du Cantique des Cantiques, hantent certes l’esprit de Jésus ce jour où il entreprend de secouer l’indifférence des siens. Il tente d’interpeller notre vigilance quotidienne : il ne faut pas manquer le festin des noces auquel tous sont conviés (Ap. 19,9). Pour la communauté de Matthieu, une trentaine d’années se sont écoulées depuis que ces paroles de Jésus furent prononcées. La nécessité d’amener les croyants à réfléchir sur leur vie quotidienne s’imposait, ankylosés qu’ils étaient déjà par les traditions d’une bonne vie de chrétien sans plus.
L titre « Cortège nuptial » conviendrait mieux que « Parabole des dix vierges ». Tout un protocole précédait la célébration de la noce : danses, cris de joie, chants, torches allumées, éloge de la beauté… Relisons le Cantique des Cantiques, cela nous en donnera une petite idée. Les jeunes filles de la parabole sont les demoiselles d’honneur de la fiancée. N’étant point mariées, on les regroupe sous le titre de « vierges ». L’Église en son ensemble était déjà, au regard de l’apôtre Paul, comme « une vierge pure, sans tache, fiancée au Christ » (2 Cor. 11,3). C’est donc sur ce déroulement habituel des noces que la pensée de Jésus va s’arrêter pour illustrer la leçon de vigilance qu’il entend donner ce jour là.
Des dix demoiselles d’honneur, la moitié s’avère insensée alors que les cinq autres font preuve de sagesse et de prévoyance. Il semble bien que l’évangéliste veuille décrire ces dernières comme attentives à la célébration de l’amour auquel elles ont part et non seulement prennent part. Elles vivent dans la nuit, la longue nuit d’attente du fiancé et de l’attente de la fiancée. Cette attente, la belle Sunanite du Cantique nous la fait vivre, indifférente aux quolibets des gardes ; elle parcourt la ville à la recherche de son fiancé. (Ct. 3,1). Les insensées au contraire prennent part à la fête de façon très superficielle, au point de négliger de se munir d’huile pour garder leur lampe allumée. Ces lampes étaient de tout petits lumignons en terre cuite qu’il fallait sans cesse alimenter.
À l’encontre de l’ordre habituel des choses, c’est la fiancée qui, habituellement, se fait attendre, retenue par la parenté qui ne peut se détacher d’elle ; ici, c’est le fiancé, l’époux qui tarde. Quelques mots pour décrire l’attente chez les premiers chrétiens du retour du Christ qui se fait attendre. La lettre de Paul aux Thessaloniciens se veut témoin de cette attente et non moins de l’assoupissement, du manque de foi et de vigilance dans le contexte d’un espoir déçu : « Vous savez vous-mêmes que le Seigneur arrive en pleine nuit, comme un voleur » (1 Th. 5,2). Tradition très ancienne : de la nuit le jour a jailli, au matin de la résurrection, à l’aube de Pâque Jésus est ressuscité. Alors que l’attente se prolonge et que la vigilance a tendance à se relâcher, « un cri dans la nuit ». Des chants et la musique du cortège, signalaient la venue de l’époux. « Un cri dans la nuit », soudaineté du retour du Christ. On retrouve dans l’Apocalypse ce cri, cette clameur, ce fracas marquant l’irruption du Royaume de Dieu (Ap.14,14 ; 18,2) « L’heure qu’on ne pense pas » (Mt. 24,40) l’heure qui surprend les dormeurs comme « l’éclair qui jaillit du Levant et luit jusqu’au couchant » (Mt. 24,27)
Maître des temps, Dieu arrive à l’heure qu’il lui plaît. L’irruption de l’éternité dans le temps surprend toujours. Il ne s’agit pas ici des retards de Dieu, mais du manque de vigilance de notre part. La porte est fermée. L’importance de préparer la rencontre avec Dieu nous a échappé. Il faudrait rappeler ici le mot de l’évangéliste : « Ce n’est pas quiconque me dit « Seigneur ! Seigneur ! » qui entrera dans le Royaume des cieux, mais qui fait la volonté de mon Père aux cieux » (Mt. 7,21-23). Veillez ! clame l’apôtre à sa jeune Église.
On sent bien à la lecture de cette parabole l’intention de l’évangéliste face à sa communauté. Nous, de ce siècle, nous nous retrouverions facilement dans ce contexte : croyants qui n’ont d’autre souci que d’assurer leur ciel, sans participer vraiment à la fête de l’amour. C’est quotidiennement que notre vie ici-bas nous permet de prendre part en Église à cette fête pour tant que nous fassions partie vivement du cortège nuptial.