La vie sexuelle, élément spécifique du face à face conjugal, demeure étrangère à la vie spirituelle de nombreux couples croyants, toutes générations confondues. Un malaise hérité de notre longue tradition persiste à l’égard de l’amour Éros, de la puissance désirante qui habite les humains et les attire vers l’infini. Dans la lignée de la mystique, les croyants ont été incités à tourner vers Dieu seul cette béance désirante en l’épurant le plus possible de ses résonances corporelles. Bien sûr, de nombreux couples chrétiens croient sans le moindre doute que la sexualité est foncièrement bonne et même bénie de Dieu. Prennent-ils conscience pour autant que cette vie sexuelle peut contribuer à la croissance de leur spiritualité conjugale ?
La vie sexuelle ne constitue-t-elle pas un véritable miroir de l’interaction entre les deux membres d’un couple ? Elle peut refléter la tendresse et l’admiration mutuelle, mais également les blocages, les non dits, l’absence d’intimité réelle.L’apprivoisement du corps de l’autre est semé d’embûches, car les gestes posés ne sont jamais dépourvus d’ambiguïté. C’est dans le cadre de l’interaction ouverte qu’ils peuvent devenir langage signifiant, dialogue intime, don et accueil. Ainsi, par exemple, si l’étreinte peut signifier l’accueil et l’ouverture à l’autre, elle peut aussi signifier l’étouffement entre deux bras possessifs. Chaque couple ne peut découvrir et inventer que progressivement le langage sexuel qui lui est propre, sans faire l’économie de la maladresse, des malentendus et peut-être même de la déception mutuelle. Et cet apprentissage est-il jamais acquis une fois pour toutes ? Les membres d’un couple connaissent à coup sûr des changements physiques et psychologiques dans leur évolution personnelle. De plus, les modifications des conditions de vie touchant par exemple le travail, les finances ou le logement affectent également le couple jusque dans sa vie sexuelle. Combien d’ajustements se révéleront nécessaires aux couples pour parvenir à s’apprivoiser de nouveau et à maintenir vivante leur intimité sexuelle.
À la lumière de la foi pascale, ce long et difficile apprivoisement peut devenir un lieu extraordinaire pour développer des attitudes évangéliques, afin d’aimer l’autre corps et âme, « en acte et en vérité », de manière très concrète: l’accueil de sa vulnérabilité et de celle de l’autre (dans la nudité par exemple), le décentrement de soi, la gratuité, l’abandon confiant, etc. La vie sexuelle ne devient pas d’emblée un lieu de cheminement à la suite du Christ. Mais si l’on pose un regard de foi sur cette réalité humaine universelle, ne se révèle-t-elle pas un chemin de transformation du désir, au creuset de la durée, des changements et de la fluctuation des sentiments ? Ce chemin est source de joie et de célébration même s’il ne peut éviter la nuit et le désert. Les amoureux sont ainsi appelés à entrer en profondeur dans le mystère de l’autre, dans le mystère de leur attachement mutuel où ils devinent à contre-jour la présence discrète du Tout-Autre.