L’eau de la source, si bonne, si désaltérante. L’eau de la cascade, si pure, si cristalline. L’eau de la rivière, rafraîchissante et reposante. L’eau du réservoir, vaillante et forte. L’eau douce du robinet. Elle est longue la litanie des saintetés de l’eau. Longue et poétique, magique et charmeuse. «Ma soeur l’eau!», disait saint François. Ma vie.
Voilà que l’eau s’est mise en colère à la Nouvelle-Orléans. Elle a fait sauté les plombs et la digue. Elle s’est déchaînée comme un terroriste. Au pays des Cajuns, elle a déclenché un grand dérangement comme il y a deux cents cinquante ans dans leur Acadie. Elle, d’habitude si discrète, s’est imposée sans pudeur dans des foyers qui ne l’attendaient guère. Elle a osé attaquer par surprise comme un lion à la chasse.
Il faut trouver l’auteur de ce qui vient d’arriver. Katrina a sûrement un père ou une mère. Il faut le débusquer, lui faire un procès et le condamner. On a tapé sur le président des États-Unis, mais c’est à cause de son inertie après le méfait. On a pointé du doigt la digue qui avait besoin de rafistolage, mais elle tenait déjà le coup les jours de beau temps.
Qui a provoqué le vent et l’eau? Qui a éveillé leur fureur? Dans le jargon des violences et des catastrophes, on parle d’un «act of God»! Ceux qui croient en un Dieu pervers considèrent que le créateur est à l’origine de tout dérèglement de la nature. Pour cela, Katrina serait un «act of God». D’autres voient en Dieu un opérateur de machinerie lourde sur un chantier de construction. Dans sa toute-puissance, il déplace des montagnes, change le cours des rivières, abat des forêts. Et, de cette façon, il se permet de manipuler ses créatures comme le marionnettiste tire les ficelles de ses personnages dans son théâtre de petits bonhommes. Dieu serait allé en vacances aux État-Unis. Pour se distraire, le gamin aurait joué avec le boyau d’arrosage! Katrina serait donc «act of God».
Un Dieu pervers? Impensable que la bonté même puisse s’amuser à torturer ses créatures! Un Dieu manipulateur? Mais alors la liberté et l’initiative humaines ne pourraient exister. Nous faisons ce que nous voulons! Nous créons des merveilles. Nous consacrons nos talents et nos compétences au développement de la création. Nous allons tellement loin parfois que nous avons l’impression de dépasser des limites de la nature!
Un disciple du Christ digne de ce nom, un fils d’Abraham, un descendant de Moïse ne peut se résigner à professer un Dieu pervers ou manipulateur. Il ne peut se considérer ni considérer les autres à la merci des sautes d’humeur d’une prétendue divinité sans scrupule. Le Christ nous a révélé que Dieu se tient aux côtés des petits. Comment aurait-il pu attaquer les pauvres noirs de la Nouvelle-Orléans tout en épargnant les quartiers luxueux de Lafayette?
Si Dieu est dans la région, il est bousculé au même titre que les victimes de Katrina. Il subit, lui aussi, le grand dérangement. Le visage de Dieu est toujours bafoué quand le visage humain et tuméfié.
Alors, l’auteur de la tragédie, qui est-il, où est-il? Il arrive des événements hors de portée de toute volonté délibérée. Ils surviennent par un simple concours de circonstances, par la rencontre des actions de la nature, sans qu’un ordinateur divin n’en planifie le programme. Bref, par hasard! Tout simplement, par hasard! Comme il a fait beau et chaud durant mes vacances, sans que Dieu n’intervienne pour récompenser ma «bonne vie»
Maintenant que le mal est arrivé, il reste quelque chose à faire. Nous pourrions même en être les valeureux auteurs. Quelque chose de l’ordre de la solidarité et de l’entraide fraternelle. Tout au long de l’histoire millénaire des catastrophes, Dieu s’est permis d’en faire la suggestion.