Le Ps 3 étant placé avant la division entre les psautiers hébreu et grec intervenant au Ps 9, il conserve la même numérotation dans les deux. Après les deux « psaumes d’introduction » que sont les Ps 1 et 2, on a un psaume de confiance qui montre beaucoup de points communs avec le psaume 4 qui suit (3,2 vs 4,2b ; 3,3 vs 4,7 ; 3,5 vs 4,4b ; 3,4 vs 4,3a.4a ; 3,7 vs 4,3). Le thème est le même, celui d’un fidèle du Seigneur qui, entouré d’ennemis, oppose aux menaces sa seule confiance en Dieu. De style simple, presque tranquille en dépit des circonstances qui semblent tragiques, le psaume est avant tout une prière et un acte de foi ; le psalmiste semble réfléchir en présence de Dieu et comme pour être entendu de lui jusque dans ses pensées les plus secrètes.
Genre littéraire et structure
Il y a beaucoup de psaumes de lamentation dans la psautier et il s’agit surtout de lamentations individuelles (une cinquantaine), comme ici (voir encore Ps 5-7 ; 13 ; 17 ; 22 ; 25 ; 26 ; 28 ; 31, etc.). Leur contenu est varié : périls de mort, persécution, exil, vieillesse, maux dont on demande d’être délivré. Ils comportent généralement les éléments suivants : invocation ; appel au secours ; prière dans laquelle on dépeint la triste situation du suppliant ; expression de confiance. On rappelle à Dieu ses anciens bienfaits, on lui reproche de paraître indifférent, on proteste de son innocence, on affirme sa certitude de la prière exaucée. D’autres commentateurs ont préféré parler de « psaumes de confiance » : confiance absolue du psalmiste fondée sur les actions salvifiques du Seigneur expérimentées dans le passé.
De la structure habituelle des psaumes de lamentation, le Ps 3 ne retient que les trois premiers des éléments : lamentation, c’est-à-dire exposé de la situation (v.1-3) ; supplication de salut et prière (v.8) ; confiance d’être exaucé (v.4-6 ; 7-9). Le tout est unit par une grande inclusion à l’aide du mot « se lever » (v.2b et v.8a). Les ennemis nombreux se lèvent contre le psalmiste, mais à la fin, c’est Dieu qui se lèvera pour qu’il triomphe. La prière jaillit de la constatation d’une situation désespérée que Dieu seul peut redresser. La supplication finale peut alors d’exprimer dans le calme et l’assurance.
Commentaire :
• Le titre du psaume, toujours omis dans la récitation liturgique, est intéressant. « Psaume. De David. Quand il fuyait devant son fils Absalon ». C’est une référence à 2 S 15-18 pour relier le psaume à un contexte historique. L’indication est sans doute suggérée par le v.2, mais elle n’indique évidemment pas la circonstance de la composition du psaume (plutôt la relecture davidique effectuée plus tard). En l’occurrence, le souvenir de l’événement dramatique invite les fidèles à imiter le roi David, modèle d’humilité et de patience dans l’épreuve (2 S 16,9-14).
• Eux, les ennemis (v.2-3). Le psalmiste insiste par trois fois sur le grand nombre de ses ennemis. L’identification des ennemis dans les psaumes de lamentation est une question difficile. Ici, l’allure générale de la prière et son vocabulaire militaire semblent indiquer des hommes de guerre (cf. Ps 22,17 ; 25,19 ; 31,14 ; 38,20 ; 56,3 ; 69,5 ; 119,157). Partout autour de lui, on tient des propos défaitistes, estimant que Dieu l’a abandonné à un sort fatal. C’est ce qu’a aussi vécu David, dans la ligne du titre du psaume (2 S 16,7-8). Humainement parlant, tout semble perdu !
• Toi, Seigneur (v.4-5). La conjonction « mais » marque la transition entre la complainte initiale et la proclamation de confiance qui suit. À partir d’ici, le « toi » du Seigneur domine toute la scène. En face des nombreux ennemis du psalmiste se dresse, seul et inébranlable, le bouclier du Seigneur (v.4a). À l’orgueil des adversaires s’oppose désormais la « gloire » du Seigneur (v.4b) au sens où c’est Dieu qui lui donne du « poids » (sens premier de « gloire » en hébreu). Aux menaces des ennemis succède maintenant l’intervention du Seigneur qui soulève la tête de son protégé (v.5 ; cf. Gn 40,13 ; Ps 27,6 ; Si 11,12-13). La réponse du Seigneur descend de Sion, la montagne sainte où s’élève le temple de Jérusalem, lieu de rencontre du ciel et de la terre.
La confiance se concrétise ici en un cri de foi envers Dieu. S’il ne peut plus compter sur les hommes, le psalmiste dispose toujours d’un recours efficace : Dieu lui-même. Comme le souligne le « mais » placé au début du verset en vue d’insister sur le contraste, le Seigneur seul suffit à neutraliser l’action des multitudes précédemment évoquées. En Dieu, le psalmiste trouve comme un merveilleux bouclier qui l’enveloppe de toutes parts et le préserve sûrement de tous les coups des adversaires (cf. Dt 33,29 ; Ps 7,11 ; 18,3.31.36 ; 28,7 ; 33,20, etc.). Un premier motif de confiance lui vient de l’expérience du passé. Chaque fois qu’en d’autres circonstances critiques il s’est adressé à Dieu, celui-ci l’a toujours exaucé (cf. Ps 22,5-6.10-11 ; 71,5-6.14-17).
• Moi, le suppliant (v.6-7). L’auteur du psaume semble faire de la nuit le temps privilégié de sa prière. Dans la Bible, la nuit et le sommeil revêtent une valeur symbolique. La nuit évoque la mort, le retour au chaos primordial qui a été vaincu par la création. En revanche, le jour symbolise la vie. Chaque aurore qui se lève sur le monde recommence les merveilles de la création et témoigne d’une nouvelle victoire de Dieu sur les puissances des ténèbres. Deuxième motif de confiance donc : dans les circonstances présentes, la nuit paraît avoir été agitée. Or, le psalmiste l’a passée à dormir d’un sommeil paisible, signe évident de la protection divine. Que la nuit s’achève sans incident, voilà bien la preuve que déjà Dieu l’assiste dans son épreuve. Au v.7, le psalmiste affirme sa paix intérieure inébranlable en dépit de l’adversité (cf. Ps 4,9).
Au v.8, l’appel final à Dieu s’articule sur une nouvelle profession de foi, dont le psalmiste attend l’intervention décisive qui le sauvera. Deux images en traduisent la teneur. Le Seigneur est comme un justicier qui sait rendre aux méchants selon leurs œuvres ; puis le Seigneur est semblable à un chasseur qui met définitivement hors d’état de nuire l’animal redoutable. Le psalmiste professe donc qu’il croit en la justice et en la toute-puissance de son Dieu. Le psalmiste ne doute pas de l’intervention du Seigneur. Bien que non encore acquis, son salut n’est plus seulement en vue, il le considère désormais assuré, tellement exigé par ce qu’il sait de son Dieu qu’il le tient déjà comme réalité. Aux allégations défaitistes et affolées des gens de son entourage, le psalmiste ne peut opposer de fin de non recevoir plus victorieuse que ce ferme et paisible credo en l’assistance divine.
Relecture chrétienne et liturgie
Le v.6 a été appliqué par la tradition chrétienne au mystère pascal de la mort et de la résurrection du Christ. C’est pourquoi la liturgie des Heures prie ce psaume le dimanche. La Règle de saint Benoît fait réciter ce psaume tous les matins aux vigiles, avant le psaume invitatoire (Ps 94 vulgate), sans doute à cause du v.6. « Sous les traits des moines d’Occident, dont il était le patriarche, il voyait sans doute l’avant-garde de l’Église militante se mettre en branle à la lueur de l’aurore » (Robert Michaud, Les Psaumes, p.47). Aussi, le sentiment d’être seul, abandonné de tous (v.3b) a été celui de Jésus en croix (cf. Mt 27,40).
Hervé Tremblay, o.p.