Situation frontière
Ne craignez pas les hommes ; tout ce qui est voilé sera dévoilé, tout ce qui est caché sera connu. Ce que je vous dis dans l’ombre, dites-le au grand jour ; ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. Est-ce qu’on ne vend pas deux moineaux pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus que tous les moineaux du monde. Celui qui se prononcera pour moi devant les hommes, moi aussi je me prononcerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux.
Commentaire :
Dimanche dernier, Matthieu rappelait l’urgent besoin de collaborateurs pour la mission. Ce dimanche, l’évangéliste va au cœur de la condition missionnaire, la confession de foi sans respect humain. Ce n’est plus une page d’histoire que nous lisons, mais un enseignement à l’adresse de tous les disciples de Jésus pour tous les temps. Le chapitre 10e selon saint Matthieu doit servir de leçon à l’Église entière. Le point dominant est que le disciple est un envoyé, non dans le sens d’un « nouvel être », mais dans le sens d’une action opérée par Dieu en chacun, et des conditions qui alimentent cette grâce. Ainsi en est-il depuis Abraham jusqu` à Jean-Baptiste (Gn.12, 1-4 et Lc 3,2) Il va de soi que ce court passage doive être lu en tenant compte du temps de l’Église d’alors et de l’Église d’aujourd’hui. « Ne craignez pas » recommande le Maître aux individus menacés par les persécutions suscitées par les juifs (10, 17, 23, 24+)
La première partie de ce passage parle du disciple face à Dieu (26-31) alors que la seconde (32+) traite de la relation disciple-Jésus. Une condition essentielle est rappelée : « Ne craignez pas » Le message du Royaume de Dieu va se manifester, l’inédit va bientôt se révéler au grand jour mais non pas sans résistances ; la confiance joyeuse, tel est le premier motif de courage du disciple. Même si le succès semble nul, le message finira bien par percer. La vie du disciple demeure hors de toute atteinte, les hommes n’ont aucun pouvoir sur elle. Car la vie de disciple, deuxième motif de confiance, se fonde en Dieu et s’achève en Lui, nul ne peut la détruire. Enfin, troisième motif de confiance, la Providence veille sur toute la création, les passereaux compris, vigilance personnelle du Dieu vivant, notre Père.
Libéré de toute crainte, le disciple pourra par un engagement total confesser Jésus sans peur et courageusement. Celui qui aura ainsi fait profession de foi trouvera en Jésus son défenseur lors du jugement ; Jésus, en qui le Père a remis tout jugement, (Mt. 25,31+), se fera l’avocat des croyants, ainsi que le précise l’apôtre Jean (I Jn. 2,1). « Si Dieu est pour nous, affirmait Paul, qui sera contre nous » (Rm.8, 31-39). On croirait réentendre ici le cri d’espoir du prophète (Jr.15, 10+ ; 20, 7+). Présentement comme hier, le disciple connaît moult persécutions de la part de son entourage, souvent de sa propre communauté chrétienne ; se multiplient également les tensions et incompréhensions de la part des croyants de milieux culturels différents. Et qui pourrait ignorer l’angoisse née de notre propre misère comme l’avouait le prophète et l’apôtre, ainsi que de la misère du monde : « Pressé de toutes part mais non écrasé… Nous portons en notre corps les souffrances de la mort de Jésus …» (2 Co. 4,8-12)
« Ne craignez pas ! » ne cesse de nous redire l’évangile. Le vrai disciple de Jésus peut bien éprouver un jour une crainte susceptible d’aller jusqu’au désir de vengeance. Jérémie en est témoin alors qu’il ne retenait pas l’envie de crier à Dieu : « C’en est assez ! » La lecture des confessions de Jérémie sera d’une grande leçon de confiance et de courage pour celui que le Seigneur appelle (Jr. 11,18-12,6 ; 15, 10-21 ; 17, 14-18 ; 18, 18-23 ; 20, 7-18). Pourquoi nous gênerions-nous de laisser notre vie de disciple s’exprimer devant Dieu avec toute sa vérité de lassitude, de découragement et de peur, et même la tentation de museler l’appel du Seigneur et notre condition de pauvre.
Bonhoeffer (Résistance et soumission, Genève p.76 ) écrivait : « Ce n’est que lorsqu’on connaît l’impossibilité de prononcer le nom de Dieu qu’on a le droit de prononcer celui de Jésus Christ ; ce n’est qu’en aimant la vie et la terre assez pour que tout semble fini lorsqu’elles sont perdues qu’on a le droit de croire à la résurrection des morts et à un monde nouveau… ».