Un défi de taille
Ce même soir, le premier jour de la semaine, les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient, car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il répandit sur eux son souffle et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. »
Commentaire :
A quel moment l’Esprit-Saint fut-il envoyé aux apôtres : le soir de Pâques (Jn 20 : 19) ou quarante jours après, comme Luc le rapporte (Ac 2 : 1-4) ? De temps mémoriaux, la question se pose. Jean aurait-il anticipé l’événement de la Pentecôte pour lui associer d’un seul coup le mystère pascal et le don de l’Esprit avec l’apparition du Christ ressuscité ? On pourrait ainsi parler de Pentecôte johannique . Il est aussi permis de croire qu’en fait Jean n’anticipe pas la Pentecôte, mais qu’il relie ce mystère à son principe : Jésus mort et ressuscité. La vérité demeure que la conversion de la communauté apostolique remonte à Jésus ressuscité, même si en fait, elle eut lieu le jour de la Pentecôte. La communauté a conscience de devoir être d’abord une communauté pascale pour devenir communauté pentecôstale. (Lc. 24 : 48, Ac.1 : 1-26).
Ce bref récit de l’évangéliste Jean se compose de deux scènes parallèles (19-20 et 21-23) ; la première relate une apparition de reconnaissance, et la seconde, une apparition de mission. Dans la première, les disciples auxquels le Christ apparaît passent de la peur à la joie, et dans la seconde, de la paix à la mission. Dans l’une et l’autre, toute l’initiative vient du Christ.
RECONNAISSANCE
Nous sommes au premier jour de la semaine, le soir tombe, les disciples se trouvent rassemblés à Jérusalem, les portes étaient closes par crainte des juifs . Le monde et les juifs paralysent ceux que Jésus veut envoyer en mission (7 : 13 ; 19 : 38 ; 12 :15 ; 19 : 8). Cette précision sur les portes vise à mettre en relief le caractère transcendant de l’apparition de Jésus et le mode surnaturel de sa présence. Jésus tente alors de dissiper dans l’âme de ses disciples leur crainte de demeurer orphelins et exposés sans défense à la haine du monde (14 : 18 et 15 : 18) : « La paix soit avec vous », leur dit-il. Et pour se faire reconnaître, « il leur montre ses mains et son côté. » Nous pourrions traduire simplement : « Soyez en paix ! C’est moi. » ou tout simplement d’une façon sémitique de saluer les gens : « Shalôm ! » Les cicatrices de la Passion établissent l’identité : le même Jésus, hier crucifié, aujourd’hui ressuscité. Pour le croyant, la résurrection devra toujours présupposer la croix, Scandale pour les Juifs, folie pour les païens. » (1 Co.1 : 23). La mention de la plaie du côté, propre à Jean, rappelait que Jésus était mort comme l’Agneau immolé pour le salut du monde. « Les disciples, alors, se réjouirent en voyant le Seigneur. » Leur joie se fonde sur la foi en la présence du Seigneur vivant mais reconnu également comme le crucifié d’hier. Cette contemplation béate termine la première scène, celle de la reconnaissance.
MISSION
Les versets 21-23, l’envoi en mission et le don de l’Esprit, débutent une fois encore par le souhait : « Shalôm ! La paix soit avec vous ». Les mots d’envoi « Comme le Père m’a envoyé » sont typiquement johanniques. A maintes reprises, Jean fait allusion à ce parallélisme entre l’action du Père à l’égard de Jésus et de Jésus à l’égard des siens (6 : 57 ; 10 : 13 ; 15 : 9). Ce ne sont pas deux réalités que Jean compare ici, mais une participation des disciples à la vie que Jésus reçoit du Père. L’objet de la mission n’est pas précisé ; tout ce que l’on peut dire conformément à la prière sacerdotale, c’est au monde que Jésus envoie ses disciples poursuivre l’œuvre de salut que le Père a remise entre ses mains (3 : 35 ; 5 : 20 ; 6 : 38-40; 17 ; 2-4) La mission des disciples sera donc de continuer celle de Jésus.
D’un geste, par le don de l’Esprit, Jésus révèle toutes les dimensions de sa mission : « Cela dit, il souffla sur les disciples : recevez le Esprit Saint ». Le Créateur avait insufflé un souffle vital dans les narines de l’homme au matin de la création (Gn 2 : 7); pour Ezéchiel, ce même Souffle divin préside à la réanimation des ossements desséchés. (Ez.37 : 9) Le geste de Jésus prend ici toute son sens : nouvelle création, réanimation, un monde nouveau commence « le premier jour de la semaine ». La mission et le don de l’Esprit sont inséparables, ils supposent qu’une transformation va s’opérer dans les disciples et les habiliter à accomplir l’œuvre dont Jésus les charge.
Mais ce legs, Jésus le complète ensuite par le pouvoir donné de remettre les péchés. Un jour, Jésus s’était publiquement arrogé ce pouvoir au grand dam des scribes juifs (Mc. 2 : 7). Cette fois, le pouvoir revient aux disciples. Il ne s’agit plus simplement d’une exhortation à la conversion comme dans le cas de Jean Baptiste au désert (Lc 3 : 7+), mais de la puissance de pardonner ou de retenir les fautes. (1 Jn. 1 : 3 , 6-10 ; 5 : 16) : Jésus accorde à ses disciples le pouvoir de conduire les hommes purifiés de leurs fautes à la source de vie.
L’ESPRIT
Comment présenter cet Esprit sans visage, sans nom ni attributs concrets ? La tentation serait grande de lui octroyer n’importe quoi ou de le décrire selon ses goûts et aspirations personnelles. Cet Esprit, qui habite dans une lumière inaccessible, est l’Esprit du Père et l’Esprit de Jésus, l’Esprit qui procède du Père du Fils, reçu au Baptême et dans tous les sacrements. Paul le décrit en ces termes : « Nous n’avons pas reçu un esprit d’esclave pour retomber dans la crainte, mais un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père! » (Rom.8 : 15) Cet Esprit est un esprit de liberté et de vérité, il résume tout un engagement donné par saint Augustin en ces mots : « Aime et fais ce que tu veux. » La vraie religion n’a jamais été d’accomplir des rites et de respecter de lois, (Is 1 : 10-20 ; Am.5 : 21-27) mais de vivre selon toutes les exigences et le souffle de l’Esprit. Par Lui et en Lui, toute notre vie devient offrande vivante à la gloire de Dieu le Père. Il est l’Esprit d’amour que nous prions en chaque Eucharistie pour que « ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par Lui en un seul corps. » Recevoir l’Esprit, c’est donc ne plus faire qu’un avec le Christ et les autres dans la mesure où un seul et même Esprit nous anime. Posséder l’Esprit, c’est appartenir au Christ : « Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas. » (Rm.8 : 9) Cet envahissement de l’Esprit signifie appartenance au Christ, filiation à l’égard du Père et être membres de son corps, l’Église.
Mais comment vivre ce mystère d’ appartenance sans nous ouvrir à l’Esprit du Christ ressuscité qui fait de nous des fils et des filles du Père et membres les uns des autres en Église ? La tentation serait facile de croire que le sel s’est affadi et le levain éventé parce que nous sommes apparemment retombés sous le carcan de la loi, de la doctrine et de la religion, alors que tout en Esprit est liberté, amour et paix. Le monde a grand besoin de cet envahissement de l’Esprit. « Il faudrait que les sauvés aient l’air plus sauvés pour que je croie en leur Sauveur », protestait le grand Nietzsche.
Tel est le défi de la Pentecôte et le renouvellement de l’Esprit en nous, la Vie en Christ, par le Christ et pour le Christ.