Présence et absence
Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : c’est l’Esprit de vérité. Le monde est incapable de le recevoir, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas ; mais vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous, et qu’il est en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. »
Commentaire :
Dialogue entre Jésus et ses disciples au soir de la Cène, ce premier discours d’adieu (13 : 31 – 14 : 31) se divise en cinq points, l’un complétant l’autre : ( 13 : 31-36 et 36-38 ; 14 : 2-6 ; 7-14 et 15-24). Dans le cinquième point, celui que nous proclamons ce dimanche (14 : 15-24), Jésus déclare qu’il se manifestera à ceux qui l’aiment. Les versets 22-24 en précise la condition : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, mon Père l’aimera, nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. » Il serait important de ne pas considérer ce chapitre comme un reportage sténographié des paroles de Jésus ; la pensée de l’auteur du 4e évangile se fait une fois de plus sentir, non qu’il ait inventé ces paroles, mais il nous les retransmet après méditation et dans un contexte d’expérience ecclésiale.
Ce passage annonce donc une triple manifestation : le don de l’Esprit (15-17), le retour de Jésus (18-20) et sa venue avec le Père (21-24). En chacune, il s’agit toujours des trois personnes : l’Esprit est donné par le Père à la demande de Jésus ; le retour de Jésus manifestera son union avec le Père, et son amour des siens ne fait qu’un avec l’amour du Père. Dans tous les cas, la manifestation est promise aux disciples, ceux qui croient en Jésus mais que le monde rejette, c’est-à-dire ces hommes qui refusent volontairement Dieu et n’acceptent pas Jésus et son message. Pour changer de camp, l’incroyant doit renoncer à son appartenance au monde incroyant. Celui-ci est incapable de recevoir l’Esprit en raison de son attitude à l’égard de l’activité terrestre de Jésus et de son manque de foi. Par contre l’Esprit de vérité sera accordé aux disciples, il sera avec eux et en eux comme une réalité déjà accomplie. « Il demeure auprès de vous ». Ces fidèles disciples ont déjà reconnu par leur foi la présence de l’Esprit dans la personne de Jésus. Cependant, ils n’ont pas encore reçu l’Esprit qui ne leur sera donné qu’après la glorification de Jésus. Ils ici reçoivent la promesse d’une présence plus intime et réellement efficace lorsque l’Esprit leur aura été communiqué par le Père à la demande de Jésus. Cet Esprit leur permettra alors d’approfondir leur foi en leur permettant de comprendre la vie de Jésus et son message (14 : 26) ; il les affermira contre les attaques du monde et leur permettra de témoigner. Ce même Esprit confondra le monde qui a refusé Jésus. Telle sera la grâce et le don de l’Esprit de Vérité, le Paraclet, le Défenseur, c’est-à-dire celui qui assistera les croyants dans leur témoignage.
Si l’Esprit est promis à celui qui aime et observe les commandements, la manifestation de Jésus est également prédite à ceux qui l’aiment et observent ses commandements. Ceux-ci consistent en l’amour fraternel (13 : 34+ ; 15 : 12-14) et la foi en Jésus, envoyé du Père., Dans sa première lettre, Jean unit volontiers foi et amour sous le terme « commandement ». Aimer Jésus et en conséquence aimer ses frères consiste donc à croire dans l’amour divin, recevoir cet amour et y demeurer : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour » (15 : 9-10). Cette intimité et communion de vie avec Jésus seront toute spirituelle ; elle se réalise grâce à l’amour fraternel qui manifeste et rend visible l’amour divin. Dans les frères que nous aimons, nous percevons la présence de Jésus et, en lui, du Père.
Ainsi est-il permis de comprendre la prévision de Jésus : « Sous peu le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant et vous vivrez aussi ». Du fait de sa mort pour le monde, Jésus appartient au passé, il n’est plus de ce monde. Mais pour les disciples, « sous peu » il se manifestera, promesse réalisée le soir même de Pâques. Le terme « verra » ne décrit pas qu’une perception visuelle, restreinte à la situation pascale ; la vision pascale du Christ par les disciples constituera un véritable discernement, prise de conscience de l’union entre Jésus et son Père auquel les disciples ont accès par Jésus. « Ce jour-là, vous comprendrez que je suis en mon Père, et vous en moi et moi en vous ». Vision de foi qui nous rend perceptible une présence et une communion de vie dont l’amour fraternel est condition essentielle.
Ce « Discours d’adieu » s’adresse donc non seulement aux disciples rassemblés autour de Jésus, mais à nous tous, croyants, dans la mesure où notre union fraternelle les uns avec les autres rend possible l’expérience de cette communion de vie entre Jésus et son Père. « Celui qui aime connaît Dieu parce que Dieu est amour ». Il y a donc ici phénomène de présence et d’absence : nous ne voyons plus directement Jésus comme comme les disciples le voyaient, mais nous pouvons le voir dans notre amitié fraternelle dont il est grâce et modèle, et non moins révélation du mystère de communion entre Jésus et son Père dans une éternelle union.