Les États-Unis se sont donné pour président un croyant. La chose n’est pas interdite. Mais l’élu est persuadé d’avoir été choisi par Dieu plutôt que par ses compatriotes. Persuadé également d’exercer une mission divine, il est parti à la conquête du monde dans l’espoir d’amener l’ensemble de l’univers dans le giron américain ou quelque chose de semblable.
Pendant ce temps, des leaders islamistes le terrorisent au nom d’Allah. Oussama Ben Laden est entré dans la clandestinité tout en travaillant contre les «ennemis» de Mahomet que sont les américains et leurs copains. À sa suite, des disciples, et de nombreux disciples tout aussi convaincus d’avoir choisi la voie de la vérité et de la pleine lumière.
Depuis la fin de la dernière grande guerre, les Juifs ont commencé un retour au Moyen Orient. Ils ont la conviction d’y posséder une terre depuis longtemps promise par Dieu lui-même. Au fil des années, ils n’ont cessé de s’installer en Terre sainte, non seulement là où on leur ouvre largement les bras mais aussi dans les régions ils se sentent le droit de tasser les habitants du pays. C’est à eux que la terre a été offerte, croient-ils!
À côté, d’autres leaders politiques se permettent de pratiquer des politiques aux allures de religion civile. La démocratie est devenue aussi absolue que Dieu, adorée avec autant de vénération. Certains chefs d’état suscitent même sur leur passage des liturgies tout aussi sacrées que celles pratiquées par les adeptes des grandes religions.
Bref, la politique courtise la religion, fréquentations occasionnelles ou mariage pur et dur. Qui aurait cru cela à l’époque pas si lointaine de la sécularisation des peuples et des cultures? Qui aurait pensé que le religieux ré-enchanterait les cœurs alors que la raison proclame avec enthousiasme son credo athée.
Certains croient que le mouvement va dans le sens contraire. Ce serait plutôt la religion qui courtiserait le monde politique. Elle voudrait reprendre du poil de la bête, redevenir influente, s’imposer de nouveau, triompher. Claude Lévi-Strauss frappait durement dans une entrevue au Figaro littéraire, il y a près de quinze ans (16 septembre 1991) : «C’est grâce aux religions monothéistes, disait-il, que le rationalisme a pu se développer et la science se constituer. Le prix à payer, en revanche, ce fut l’intolérance, l’impérialisme, la certitude de détenir seul la raison et la vérité.» (cité dans «Dieux en sociétés. Le religieux et le politique», Autrement, série «Mutations», no 127 (février 1992), p. 167.) L’affirmation est grosse; elle demanderait au moins des nuances, si nous pouvons nous permettre de critiquer l’éminent anthropologue.
Mais l’histoire propose des exemples, nombreux même, d’une telle dérive. Nous avons parfois l’impression de remonter trois mille ans derrière, à l’époque où le roi David partait en guerre en apportant l’arche d’alliance comme la garantie de la victoire. En ce temps-là, Dieu s’appelait le «Dieu des armées». Il combattait toujours du même côté, le bon côté, le nôtre. Il avait ses ennemis qui, comme par hasard, étaient les mêmes que les nôtres.
Pour sa part, Jésus a refusé d’entrer dans le débat politique de son temps et de son pays. Il a même souhaité qu’on établisse une certaine distance entre César et Dieu. Distance que nous avons appris à créer et à entretenir sous la forme d’une autonomie des royaumes. César a droit à ses coudées franches pendant que Dieu fait sa place au soleil en toute légitimité.
Cela n’empêche pas Jésus de proposer un royaume qui pourrait inspirer les cités terrestres. Ce qui pourrait s’appeler du levain dans la pâte. Dans les aspirations humaines à plus de fraternité, de justice et de paix se trouve bien simplement ce que Dieu – et Jésus avec lui – avait espéré en créant l’univers sans pour autant enlever à l’être humain et à sa progéniture son droit à la liberté. Sans les dispenser de faire appel à leur créativité dans la mise en œuvre de leur vivre-ensemble.
Le retour du religieux révèle une conviction pour les uns, une découverte pour d’autres: ce monde-ci a ses limites. Il est marqué par la finitude. L’être humain est plus grand qu’il ne paraît. L’humanité cache un mystère qu’il ne pourra jamais dévoiler totalement. Peut-être faut-il tout simplement porter le regard plus loin, reconnaître que l’essentiel nous échappe en grande partie.
Par ailleurs, le christianisme pourrait, au delà de ses fautes d’intolérance et de relents de fanatisme, prêcher plus que jamais la non-violence. L’Évangile lui a laissée ce message comme un des ses biens les plus précieux. Qu’il propose cette non-violence non seulement à ses adeptes mais aussi au reste de l’humanité trop facilement belliqueuse. N’est-ce pas le plus beau cadeau qu’il a offert durant ses deux millénaires d’existence. Et l’alliance la plus vraie qui puisse exister entre le religieux et le politique.