Vous ne vous imaginez quand même pas que je vais devenir pape ? Pourquoi faites-vous tant de photos ? disait le cardinal Karol Wojtyla à l’un des photographes présentés à l’aérodrome Leonardo da Vinci, de Fiumicino près de Rome. Le cardinal arrivait pour le conclave qui allait choisir un successeur à Jean-Paul 1er, le pape au sourire et à l’accent vénitien, qui s’était éteint à l’aube du trente-quatrième jour de son pontificat.
Quelques jours plus tard, Karol Wojtyla apparaissait vêtu de blanc à la loggia de la basilique Saint-Pierre. A présenté, ,il s’appelait Jean-Paul II.
« Vous ne vous imaginez quand même pas que je vais devenir pape ? » Non, le photographe ne l’imaginait pas, mais on ne sait jamais. Même les cardinaux ne l’imaginaient guère, à l’exception du cardinal autrichien Koenig et de quelques autres, lorsqu’ils entrèrent en conclave, cette assemblée fermée au monde extérieur où ils avaient à élire un pape.
« Sia lodato Gesù Cristo ! Loué soit Jésus-Christ ! ». Voila les premiers mots adressés au monde entier par Karol Wojtyla devenu pape. Ils furent dits en italien devant les dizaines de milliers de fidèles accourus en moins d’une heure de tous les quartiers de Rome sur la place Saint-Pierre.
Ce lundi soir, 16 octobre 1978, vers 18h18, la fumée qui s’était élevée de la petite cheminée de la Chapelle Sixtine était blanche, incontestablement. Cela après deux jours de conclave et huit votes. A 18h43, du haut du balcon de Saint-Pierre, le cardinal Felici annonça : « Habemus Papam. Nous avons un pape. Son Eminence Révérendissime Mgr Carlum, cardinal de la Sainte Eglise romaine, Wojtyla, qui a pris pour nom Jean-Paul II. » Les radios et les télévisions interrompirent leurs programmes ; le monde entier était à l’affût des nouvelles. Les Romains désireux de participer à l’événement, débranchèrent leurs appareils et hâtèrent vers la place Saint-Pierre.
Une heure après que la fumée blanche se fut dissipée, les portes de la loggia s’ouvrirent de nouveau et le nouvel élu apparut enfin : « Loué soit Jésus-Christ. Très chers frères et sœurs, nous sommes encore attristés de la mort du pape très aimé Jean-Paul 1er. Et voici que les cardinaux ont élu un nouvel évêque de Rome. Ils l’ont choisi d’un pays lointain mais toujours très proche par la communion, la foi, la tradition chrétiennes. J’ai eu peur en acceptant cette élection, mais je l’ai fait dans un esprit d’obéissance à Jésus-Christ et avec un confiance totale en sa Mère, la très sainte Madone… J’essaye de parler votre langue, notre langue italienne. Si je me trompe, vous me corrigerez. Je vous invite à communier dans notre foi commune, et aussi à vous engager et à poursuivre sur le chemin de l’Eglise et de l’Histoire, avec l’aide de Dieu et celle des hommes. »
Cet homme, venant de Pologne, parlait la langue italienne aussi bien que les Romains pouvaient le souhaiter dans la bouche d’un étranger. A plusieurs reprises l’allocation du pape fut interrompue par des applaudissements, surtout lorsqu’il se reprit en disant : « votre langue… notre langue », et lorsqu’il fit allusion à « un pays lointain ». L’émotion l’avait gagné à cet instant, mais le timbre de sa voix était plus fort que celui de son prédécesseur. La foule explosa : Viva il Papa ! » Le pape Wojtyla – même s’il était bien difficile de prononcer son nom – avait gagné le cœur des Romains.