Du bon pain
Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. » Les Juifs discutaient entre eux : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi. Tel est le pain qui descend du ciel : il n’est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Commentaire :
Comme évangile de la « Fête-Dieu », pouvait-on trouver mieux que la finale du grand discours sur le pain de vie (Jn VIe). Toutefois, certains mettent en doute son authenticité, on suppose même qu’elle aurait été ajoutée ; elle cadre difficilement avec ce qui précède. Dans cette partie, le Christ s’y révèle comme manne descendue du ciel, vrai pain de vie. Reconnaissons que l’accord s’avère plus ou moins facile avec la mention du sang, allusion assez directe à l’institution de l’Eucharistie. Se peut-il que, suite à la multiplication des pains, Jésus ait parlé si clairement de l’institution de la dernière Cène. Il est fort probable que ce « Discours sur le pain de vie » soit l’œuvre de l’évangéliste, fruit de réminiscences des paroles de Jésus. Ce que nous pouvons retenir c’est que les Juifs ne saisirent pas trop d’une part la parole de Jésus inspirée de l’Ancien Testament, et d’autre part de l’évocation de la manne.
Tout ce chapitre 6e de Jean comportait comme introduction l’invitation de Jésus : « Travaillez pour la nourriture qui demeure en vie éternelle, celle que donne le Fils de l’Homme ». Les Juifs répliquent alors par une question-méprise (6.28) à laquelle Jésus donne une réponse qui génère elle-même une autre question-méprise de la part des interlocuteurs. Ils réclament alors un miracle comparable à celui de la manne. Jésus se révèle comme le vrai pain de vie descendu du ciel, source de vie pour le monde (6,33). Les Juifs réagissent comme la Samaritaine au puits de Jacob. Mais l’explication de Jésus ne fait que les irriter davantage.: Jésus pousse alors l’affirmation en se proclamant le pain vivant, et ce pain qu’il donnera est sa chair pour la vie du monde (6,51). Ce langage sonne trop dur aux oreilles des Juifs. Pierre au nom des Douze confesse alors publiquement sa foi : « À qui irions-nous, tu as les paroles de vie ! ».
Ce chapitre VIe de Jean a-t-il vraiment une portée eucharistique ? Tout l’œuvre évangélique de Jean semble composé à l’intention des croyants en pleine crise de foi. Le prologue donne la note : « Le Verbe s’est fait chair, il est venu vers les siens et les siens ne l’ont pas reçu ». La suite constituera comme l’élaboration d’une catéchèse de foi : les miracles, signes susceptibles d’appuyer cette foi ; les premiers témoins de la foi et leur attitude, Nicodème, la Samaritaine ; puis le tout se termine avec les promesses de la foi : vie, lumière et vérité. C’est donc dans cet ensemble qu’il importe d’intégrer le « Discours sur le pain de vie » et retrouver dans les expressions « pain de vie, chair et sang », toute la personne de Jésus qui, en plus de sa parole, doit définir l’objet de la foi. C’est en sa personne qu’il faut croire : la parole de Jésus, ses gestes et toute son existence terrestre bien incarnée. Jésus, en tout ce qu’il fait au cours de son activité terrestre, devient pain de vie et breuvage dont la foi peut avoir un insatiable besoin
Si la tentation de comprendre l’évangile de ce dimanche comme une catéchèse sur l’Eucharistie et retrouver en ce chapitre VIe comme une révélation johannique de l’Eucharistie peut être grande, c’est que Jean est le seul à passer sous silence le récit de l’institution de l’Eucharistie. Mais ne serait-ce pas dénaturer quelque peu la leçon d’une rare densité que l’auteur veut donner concernant en Jésus, Parole fait chair, objet de foi. Ce serait considérer ce passage comme une digression si nous lui conférions un sens, une portée eucharistique. Remarquons que ce ne serait pas une hérésie, mais une donne assez éloignée de l’ensemble du message de l’évangile de Jean. Son évocation de la Cène comporte essentiellement les pages d’un « Discours d’adieu » sans aucun doute, œuvre de l’évangéliste utilisant les paroles du Maître.
Il serait interpellant en conclusion de comparer l’enseignement de la Sagesse et celui de Jésus : « Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif » (Sg. 24,21). Jésus disait de son côté : « Qui vient à moi n’aura jamais faim ; qui croit en moi n’aura jamais soif » (6,35). Il ajoute « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (6,53) Telle peut être l’abondance promise par la Parole fait chair à ceux qui comme Pierre confessent publiquement leur foi : « À qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle ».
Le pain de vie, du bon pain !