J’aime le travail. J’aime travailler. Et je dois cet amour du travail à des images bien inscrites dans l’album de mes souvenirs. Depuis mon enfance, je suis témoin d’hommes et de femmes dont le labeur m’inspire et me fascine. Je pense à Monsieur Fortin, le boulanger de mon village. Je le vois encore sortir le pain de ses fourneaux. Je pense à mon grand oncle Arsène qui bêchait patiemment son jardin. Je vois ma mère autour de ses pots de confiture aux fraises. Et mademoiselle Hunter penchée sur nos cahiers de devoirs.
Je me souviens encore de mon grand-père quand il préparait son mortier et ses briques avec beaucoup d’application. Fièrement, un oncle m’avait confié un jour: *Ton grand-père fait le meilleur mortier de tout le village!+ Une brève enquête m’avait révélé cependant que mon grand-père était le seul homme du village à fabriquer du mortier et qu’il n’avait aucun concurrent dans tout le royaume de mon enfance. Dans sa fierté, son fils avait décerné la médaille d’or à celui qu’il admirait plus que les autres.
Mon oncle, le fils de mon grand-père, n’avait pas complètement tort. C’est tellement beau, du beau travail, du travail bien fait! On devine, dans l’oeuvre, l’habileté de l’artisan, sa compétence. Même dans la tâche la plus humble, l’intelligence humaine se laisse reconnaître. Parfois même, le génie de cet être qui domine l’univers, qui gère la planète parmi tous les vivants qui habitent celle-ci.
Il y a des ratés, il faut l’avouer. Le travail n’est pas toujours une réussite. Mais que de réalisations, de grandes réalisations, signées par l’être humain. Dieu lui a confié un chantier énorme, une nature en vrac, aux lois pas toujours évidentes, aux orientations souvent obscures. Depuis des milliers d’années, travailleurs et travailleuses s’acharnent à transformer la création, à la comprendre et lui faire produire le meilleur d’elle-même. Ils cherchent à percer ses secrets qui sont autant de cadeaux offerts aux vivants pour leur bien-être et même leur bonheur.
Le travail peut être créateur de richesse. Il doit l’être. Dans un monde où la pauvreté est de plus en plus imposante et étouffante, il est essentiel que le travail crée de la richesse. La nature est appelée à donner le meilleur et le plus d’elle-même. Nous vaincrons la misère en demandant à la terre de produire le plus possible et en exigeant de ceux et celles qui gèrent les biens de cette terre de partager le plus équitablement possible la production de cette nature.
Il faut également souhaiter, et même exiger, que le profit ne soit pas la seule richesse qui découle du travail. Le travail doit, avant tout le reste, permettre à l’être humain de devenir plus humain. Trop souvent «hélas!» nous avons transformé le travail en esclavage, en pénitence, en punition. On a imposé et on impose encore à des travailleurs et des travailleuses des conditions de travail qui déshumanisent la personne. Le progrès nous a permis de réaliser de grandes choses, des rêves mêmes que nos ancêtres ne pouvaient imaginer. Pouvons-nous alors accepter que certains ouvriers, que certaines ouvrières vivent leur participation à l’oeuvre de la création dans un cadre et dans des conditions où ils sont méprisés consciemment ou non? Pensons, en particulier, à ces enfants et à ces jeunes adolescents qu’on soumet à des travaux au-delà de leurs capacités et dans des conditions avilissantes. Pensons à ces femmes immigrées à qui on avait promis le paradis sur terre et qui se retrouvent à la merci de patrons sans scrupule. Pensons à ces ouvriers sans compétence qui doivent se résigner à faire des tâches minables sous la gouverne d’exploiteurs méprisants.
À travers l’histoire de l’humanité, le travail a connu et connaît encore de multiples visages: de beaux visages, mais aussi des visages blessés, des regards tristes, des yeux en larmes. En ce troisième millénaire si prometteur par ailleurs, pouvons-nous espérer que la personne puisse profiter de son travail pour accéder à la dignité? Pouvons-nous souhaiter et même exiger que le travail puisse réaliser le meilleur qui sommeille au fond de chaque terrien? Pouvons-nous souhaiter que les générations qui nous suivent puisse garder de notre travail de beaux souvenirs, des souvenirs qui les enthousiasment dans leur propre activité au chantier du monde?