La fête de la Pentecôte a lieu une fois par année. Mais souvent, au fil des jours, les croyants pointent du doigt des événements, des paroles, des gestes comme autant d’interventions de l’Esprit. Tel discours inspirant se métamorphose en parole inspirée. Tel événement retentissant devient retentissement de l’Esprit. Tel geste signifiant se transforme en signe de l’Esprit.
L’Esprit, pense-t-on, interviendrait toujours dans nos initiatives quand elles sont accompagnées de la prière. Telle réunion où les bonnes volontés se conjuguent parviendrait nécessairement à des décisions qui plaisent à l’Esprit. Certaines conditions, certains cadres garantiraient automatiquement la présence de l’Esprit. Permettez-moi d’en douter…
Souvent quand des actions ou des paroles nous plaisent, nous osons les attribuer à l’Esprit. Telle décision fait mon affaire: il y a sûrement là la marque de l’Esprit. Un projet prend-il l’orientation que j’ai rêvée, j’affirme sans sourciller que l’Esprit signe cette orientation. Je souhaite que l’Esprit intervienne dans toute entreprise que je veux réussir. La réussite sera même considérée comme une approbation de l’Esprit.
Faire appel à l’Esprit me permet de présenter à mes adversaires un motif de plus d’adhérer à mes idées ou à ma perception des choses. Et un motif de poids: qui oserait contredire l’Esprit que le Christ a offert comme guide et maître de l’histoire?
Nous attribuons facilement à Dieu et à son Esprit toutes les bonnes choses qui arrivent dans le monde. Personne n’ose cependant le voir à l’oeuvre quand les choses vont mal. Si Dieu n’est pas l’auteur de tout ce qui surgit dans l’univers, se pourrait-il alors qu’il s’abstienne dans certains de nos bons coups? Se pourrait-il que des événements de notre vie et de l’histoire du monde soient des oeuvres totalement humaines, des oeuvres que Dieu n’aurait pas volontairement réalisées?
Dieu nous a créés intelligents et libres. Nous sommes donc outillés pour faire face à la vie. Nous sommes capables de nous prendre en main. Nous pouvons mener notre existence en nous servant de nos capacités, de notre jugement, de notre imagination.
J’ose croire également que nous ne sommes pas des marionnettes que Dieu manipulerait à sa guise, même avec notre entier consentement. Notre liberté nous permet d’assumer pleinement nos faits et gestes. Par elle nous pouvons nous reconnaître responsables de notre existence et des décisions que nous prenons.
Cela ne signifie pas, par ailleurs, que Dieu soit totalement absent de nos entreprises. Il n’est pas qu’un simple observateur d’une planète où nous nous débattons pour survivre et bien survivre. Cela ne veut pas dire non plus qu’il n’a pas le droit de contrecarrer nos plans. À la longue, avec une certaine distance, il nous arrive de reconnaître avec raison que Dieu a signé telle oeuvre ou qu’il est intervenu dans telle ou telle circonstance. L’histoire de l’humanité porte la marque de son créateur. Dieu est à l’oeuvre. Jésus a même dit qu’il travaille toujours!
Mon propos veut simplement nous inviter à ne pas trop abuser de Dieu et de son Esprit. Dieu a le droit d’être lui-même et de réaliser ce qu’il veut faire, sans qu’il soit obligé d’épouser nos vues. Quant à nous, rappelons-nous qu’une foi qui ne se vit pas sans une certaine autonomie par rapport à Dieu, est une foi qui manque de maturité. Dietrich Bonhoeffer allait même jusqu’à dire: *Vivre devant Dieu et avec Dieu, mais sans Dieu+.
Les croyants que nous sommes sont donc invités à se prendre en main tout en espérant parler et agir à la manière de Dieu. Il ne m’est pas interdit, bien au contraire, de me demander: que ferait Dieu ou l’Esprit à ma place? Mais une fois la question répondue, je fais de mon mieux, au meilleur de ma connaissance et de mon jugement. Libre et responsable.