Passion de Jésus Christ selon saint Matthieu
La Passion de Jésus Christ » ne doit pas être lue dans l’esprit d’un Mel Gibson et son film sur la Passion comme une exaltation de la souffrance et de la mort, mais comme la célébration d’un combat pour la justice. Jésus va affronter la mort avec un amour fou de la vie. Tel n’est malheureusement pas le sens qui a prévalu tout au cours des siècles. Il fut un temps où une sensibilité doloriste développa la dévotion à la croix et au « Christ humilié », l’Homme des douleurs » tel que préfiguré par le prophète : « c’étaient nos souffrances qu’il supportait, nos douleurs dont il était accablé » (Is. 53 : 4).
Quelques siècles plus tard, Jésus en sa Passion est considéré comme l’archétype de l’homme de l’obéissance héroïque et de parfaite résignation à la volonté de son Père. La soumission est ici glorifiée alors que l’obéissance de Jésus avait été fidélité à proclamer le Règne de Dieu. Aujourd’hui enfin, c’est la faiblesse de Dieu en ce monde qui est illustrée sur la croix. Selon Bonhoeffer, Dieu s’est laissé cloué en croix pour que l’homme soit libre. « Le vieux Dieu est mort », une aurore nouvelle s’annonce. La passion sonne la libération de l’homme, soit ! mais non moins celle d’un Dieu venu en ce monde pour en manifester le faux ordre établi. Son message d’amour, de justice et de paix est plus efficace que jamais et sa Parole retentit dans tous les univers. Elle dérange bien qu’elle ne convertisse pas toujours. L’histoire ne fait que se répéter : « Il est venu parmi les siens et les siens ne l’ont pas reçu.» (Jn 1 ) Telle fut sa passion, l’authentique.
Les « Passions » selon Matthieu, Marc, Luc et Jean, furent composées après la Résurrection, dans la lumière de Pâques, par des gens qui se voulaient témoins de la résurrection. Passion et résurrection forment un tout : le Ressuscité manifeste la valeur de sa mort ; la Passion fut pour lui une victoire : « Où est-elle, ô mort, ta victoire ? Où est-il, ô mort, ton aiguillon ? s’exclamait l’apôtre Paul … Mais grâce soit rendu à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ. » (1 Co. 15 : 55-56) Aussi est-il de toute première importance que la célébration de la Passion du Sauveur prenne des allures de triomphe et reste fortement et visiblement marquée par l’espérance.
Pour bien saisir tout l’impact réel de la Passion racontée par l’un ou l’autre des quatre évangélistes, il serait souhaitable d’en faire une lecture personnelle à l’aide d’un recueil appelé Synopse qui expose les textes en parallèle. Voyons quelque peu les caractéristiques des trois, Matthieu, Marc et Luc, que l’on appelle « synoptiques ». Matthieu, cette année, a construit un texte pour une assemblée de croyants. Il a souci de bien s’expliquer et pour ce faire, il laisse volontiers tomber certains détails au profit d’un récit plein de clarté, d’un style liturgique, sans négligences ni ambiguïtés. Matthieu s’adresse à un auditoire Juif, il éclaire les faits par des passages des Écritures et en manifeste pour chacun l’accomplissement. Ceci ne l’empêche nullement de montrer l’égarement d’Israël, son peuple, et le don du Royaume de Dieu à une nation qui produira des fruits : « Le Royaume des cieux vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui, fera produire des fruits » ( 21 : 43).
Marc, c’est le récit d’un témoin, peut-être l’inconnu qui s’échappa du jardin des Oliviers dans la nuit de l’agonie, abandonnant son vêtement aux mains d’un soldat (Mc 14 : 51-42). D’une écriture pleine de vivacités, Marc raconte les faits dans leur dure réalité sans avoir peur de nous heurter. Avec lui, la croix est scandaleuse, mais elle nous révèle malgré tout le Fils de Dieu. L’objectif poursuivi par l’évangéliste est d’amener son lecteur à l’authentique acte de foi : « Vraiment, cet homme était fils de Dieu » confessa le centurion au pied de la croix.(Mc 15 : 39).
La Passion selon saint Luc témoigne des préoccupations de l’historien et de l’écrivain qu’il était (Lc. 1 : 1). Il cherche à bien comprendre le déroulement des faits afin de composer un récit qui se tienne. Sa Passion résume les confidences d’un disciple soucieux de nous faire revivre l’histoire de son maître. Son attachement l’amène à éviter tout détail scabreux, humiliant et cruel. Son objectif est de nous mettre sur les pas de Jésus, le chemin de croix et de sceller ainsi notre engagement à sa suite.
Autant chez l’un que chez l’autre des trois évangélistes, les « synoptiques », la Passion est l’aboutissement non pas d’une vie, son ultime chapitre intitulé « La Passion » et dont on ferait un film à grands déploiements ; mais la fin dune existence qui ne fut que passion. Jésus a mené une vie passionnément humaine et la fin ne pouvait trahir cette ferveur rédemptrice. « Il y a encore d’autres brebis qui ne font pas partie du bercail et il faut que je les sauve » (Jn 10 : 16).