«[Jésus] était un jour quelque part en prière. Quand il eut fini, un de ses disciples lui dit: “Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples”.» (Luc 11, 1)
Les circonstances dans lesquelles le Seigneur a transmis sa prière ne sont pas sans signification. Un disciple a senti le besoin de faire l’expérience de la prière en voyant son maître prier. Nous ne savons pas ce qui l’a impressionné. Était-ce l’intensité de la démarche de prière de Jésus? le désir de communier à cette prière? le souhait d’avoir une prière qui lui permette de «se fabriquer» une identité de disciple de ce maître comme la prière de Jean Baptiste «fabriquait» les disciples du prophète? Nous pourrions nous demander: pourquoi Luc place-t-il l’enseignement du Notre Père dans un contexte où Jésus est vu en prière?
La prière est un apprentissage
La réponse à ces questions n’est peut-être pas essentielle. L’important n’est-il pas de constater, dans le récit de Luc, que la prière n’est pas une réalité innée? Elle s’apprend. Elle est enseignée à des gens qui l’ignorent. Elle fait partie des apprentissages dans une vie.
La prière est un don de Dieu
Selon saint Paul, il nous est impossible de prier comme il faut. Nous sommes capables de prononcer des paroles, de reprendre des formules de prière mais nous ne pouvons pas par nous-mêmes vivre la relation qui s’établit au sein de la prière. Par nous-mêmes, nous ne pouvons pas rencontrer Dieu. Nous ne pouvons pas connaître sa pensée, y correspondre. Prier «selon Dieu», pour reprendre l’expression de Paul. Saint Thomas d’Aquin avait une formule bien frappée pour dire cela: «Homo capax Dei, non rapax». «L’être humain est capable de Dieu, au sens de «peut accueillir Dieu», mais il ne peut le prendre, il ne peut se le donner par lui-même».
La prière est donc un don de Dieu, une faveur, une grâce. Nous prions parce que Dieu nous fait prier. En créant l’être humain, il n’a pas placé en lui la capacité de le rejoindre et d’entrer en dialogue avec lui. Cette capacité, il la donne personnellement, dans un acte particulier pour chaque personne. Par une initiative toute gratuite de son amour. Il peut même la refuser à quelqu’un, s’il le veut.
La prière est l’oeuvre de l’Esprit
Cette grâce prend la forme de l’Esprit Saint. «L’Esprit aussi vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut, mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en gémissements inexprimables, et celui qui scrute les coeurs sait quelle est l’intention de l’Esprit: c’est selon Dieu en effet que l’Esprit intercède pour les saints.» (Romains 8, 26-27)
La présence de l’Esprit dans notre prière n’élimine pas notre propre présence. Nous sommes plus qu’une simple tribune où se tient l’Esprit. En toute liberté, nous composons avec l’Esprit. Nous prions à partir de ce que nous sommes mais nous le faisons sous l’inspiration de l’Esprit. Il guide la prière au sens où il propose une orientation, il suggère des intentions de prière, il donne du «volume» à notre voix! Mais aussi il ouvre la porte qui nous introduit en présence de Dieu. La distance est grande, trop grande. Nous ne pouvons par nous-mêmes entrer dans l’univers de Dieu. Seul Dieu peut nous hausser jusqu’à lui. Et c’est la tâche de l’Esprit.
La prière rejoint le désir qui nous habite
L’Esprit trouve dans notre psychologie une prédisposition à la prière. La grâce trouve à s’exercer dans la nature. Et le mariage entre les deux est possible.
Tout humain est un être de désir. Selon que son désir est plus ou moins comblé, l’humain est plus ou moins satisfait. Tous ses gestes, toutes ses attitudes et tous ses comportements sont motivés par la recherche de la satisfaction de son désir. Et tous ses gestes, attitudes et comportements révèlent le désir profond qui est à leur origine. Se connaître soi-même, c’est reconnaître son désir en vérité. Se méconnaître soi-même, c’est mal percevoir son désir.
Sur ce point, Catherine de Sienne a des intuitions très justes, notamment dans son Dialogue, quand elle parle de la connaissance de soi et de la connaissance de Dieu dans la connaissance de soi. Le carme François de Sainte-Marie a intitulé un de ses ouvrages: Présence à Dieu et à soi-même.
Fondamentalement, le désir est désir de bonheur. L’humain veut arriver à la plénitude de son être: découvrir son identité en elle-même comme découvrir sa relation avec la totalité de l’être, avec les autres, avec le cosmos. Humainement, c’est ce désir de bonheur qui pousse l’humain à croire en Dieu. Humainement, l’humain croit parce qu’il reconnaît dans la Parole de Dieu une promesse de bonheur.
La prière est donc, fondamentalement, la mise en acte du désir de bonheur. «Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi, mon Dieu.» (Psaume 42 (41), 2)