Parmi les 73 livres canoniques que contient la Bible des catholiques, celui des psaumes en est un des plus originaux; ne serait-ce que par le fait qu’il est le seul recueil de prière de toute la Bible (1). Il n’est donc pas étonnant qu’à la suite d’Israël, l’Église y puise abondamment les mots pour s’adresser à Dieu. De fait, il n’est pas exagéré de dire que le livre des psaumes est le recueil des prières, des cris que les croyants (2) adressent à Dieu (3).
Les spécialistes ont bien démontré qu’il est souvent difficile de dater tel ou tel psaume et encore plus l’ensemble de l’ouvrage. À différentes époques, ces textes ont fait l’objet de relectures et ainsi se sont enrichis de la prière du peuple. Une preuve de plus qu’ils sont les meilleurs représentants de la prière des fils d’Abraham.
Cependant, plusieurs croyants ressentent de la difficulté à prier certains psaumes à cause du caractère violent de leurs propos ou pour toutes autres raisons reliées à la distance qui nous séparent de la mentalité ou des coutumes dans lesquelles les psaumes ont été écrits (4). Dans ce court article, nous tenterons de relever ce qui nous semble être l’obstacle majeur à la prière des psaumes. Nous proposerons ensuite quelques clés de lecture afin de bien goûter la richesse de ces textes et d’en faire nous-mêmes notre prière.
1.Des difficultés ressenties à prier les psaumes
Oui, il est difficile de prier à partir de textes moulés dans une autre culture que la nôtre et selon une toute autre mentalité. Oui, des chrétiens se refusent à prier des textes qui parlent de violence, de vengeance, de haine des ennemis. Mais la principale difficulté ne résiderait-elle pas ailleurs ? Ne se situerait-elle pas dans notre propre conception de la prière ? Habitués à une prière tranquille, bien encadrée dans des formules toutes faites, nous sommes souvent mal-à-l’aise avec une prière spontanée qui sort tout crue du cœur et qui tire ses origines de la vie même du ou des priants.
Même la conception que nous nous faisons de Dieu pourrait-elle nous empêcher de prier avec les psaumes ? Dans notre prière, osons-nous vraiment exprimer les sentiments profonds qui nous habitent ? Dans bien des circonstances, ne disons-nous pas que ce que nous ressentons ne se dit pas à Dieu ou que Dieu ne s’intéresse pas à nos problèmes, à nos conflits, voire même à nos souffrances ? Les psaumes nous présentent une toute autre conception de la prière et de Dieu.
Pour le psalmiste (5) la prière est une véritable relation avec son Dieu qui est à la fois transcendant et proche. Dans sa proximité, Yahvé (nom le plus utilisé dans le psautier) peut entendre et comprendre ce que vit le priant dans ses joies et ses peines, ses désespoirs et ses cris de vengeance. Parce que Dieu est le Tout-Autre, le psalmiste est certain qu’il est en mesure de transformer les situations difficiles et qu’il mérite louange et action de grâces (6).
En effet, le psautier représente la vie de personnes qui aiment, qui se réjouissent, qui luttent, qui souffrent, qui espèrent, qui meurent et qui chantent. Ces croyants nous apprennent que, même aux jours les plus noirs, leur Dieu est présent; il crie avec nous et par nous (7). Comme textes sacrés, les psaumes nous montrent que, l’indignation de l’être humain devant l’injustice, le mal et la mort devient l’indignation de Dieu devant tout ce qui fait obstacle à l’avancement de son règne. Les psaumes nous apprennent aussi que l’attitude première de la personne croyante devant Dieu est celle de la louange.
Notre conviction profonde réside dans le fait que la première clé de lecture des psaumes dépasse de beaucoup les trucs techniques (8). Elle réside plutôt dans une compréhension profonde de la nature des psaumes comme textes de prière, comme chants pour entrer en relation avec Dieu (notre dieu) et lui exprimer le fond de notre cœur avec tout ce que la vie y a engendré de sentiments de toutes sortes (9). En ce sens, la prière avec les psaumes suppose un abandon total du priant à son Dieu. Elle invite à se départir des masques, des peurs, des fausses pudeurs pour prendre la route de la confiance, comme c’est le cas pour deux amoureux (10).
2.Autres clés de lecture
La clé principale pour ouvrir la porte du psautier ayant été précisée, il nous revient maintenant de mettre en évidence quelques pistes complémentaires qui ne manquent pas d’intérêt pour une lecture et une prière significative des psaumes.
2.1 La clé dans la serrure
Le psautier nous indique lui-même dans quel esprit lire et prier les poèmes. En effet, le psaume 1 convie à la fidélité à la Loi de Yahvé alors que le deuxième situe le priant dans l’attente messianique. Et comme par un jeu d’inclusion, le psaume 150 invite à l’action de grâces par le chant de l’alléluia. Fidélité à Yahvé en tout, attente de l’intervention de Dieu dans l’histoire humaine et action de grâces, voilà bien indiquée la route à suivre pour qui veut prier les psaumes.
2.1 Les genres littéraires des psaumes (11)
Ce qui attire davantage l’attention du lecteur ou du priant des psaumes, c’est sans doute leur grande diversité. Nous tenterons donc de regrouper plusieurs d’entre eux sous différents genres littéraires.
2.1.1 Les psaumes de louange
Cette catégorie de psaumes se présente comme des hymnes entièrement tournées vers Yahvé. Ce qui la caractérise, c’est avant tout son aspect désintéressé dans la louange et la glorification. La structure de ces hymnes est habituellement construite de la façon suivante : une invitation à louer Yahvé; l’expression des motifs de louange; une conclusion.
2.1.2 Les psaumes de supplication
Ils sont les plus nombreux. On distingue les supplications dites collectives des supplications individuelles. Ces psaumes se présentent sous la forme d’une réaction d’un croyant devant la présence d’ennemis ou de malheurs qui l’assaillent personnellement ou encore assaillent son peuple. Le psalmiste se tourne vers son Dieu pour exprimer son malheur et solliciter son secours. La structure d’un psaume de supplication se présente souvent ainsi : un appel à Dieu; un exposé de la situation suivi d’une présentation des motifs d’être exaucé; l’expression de la confiance.
2.1.3 Les psaumes de confiance
Apparentés aux psaumes de supplication, les psaumes de confiance expriment ou invitent les priants à mettre toute leur confiance en Dieu. Mailhot observe que deux termes hébreux sont particulièrement affectionnés de ces psaumes. Il s’agit des mots batah qui signifie «avoir confiance, se sentir en sécurité, se reposer » et hasah que l’on peut traduire par «s’abriter, se confier en » (12).
2.1.4 Les psaumes d’action de grâces
Les psaumes d’action de grâces relèvent à la fois de l’hymne de louange et de celle de la supplication. Ils sont exprimés à Dieu à la suite d’un bienfait particulier que le Seigneur vient d’accomplir en faveur d’une personne croyante. Cette dernière adresse aisément des paroles de louange et des motifs d’action de grâces. La structure de ces psaumes s’établit autour des points suivants: mention de la prière du psalmiste; précisions sur l’intervention salvatrice de Dieu; une conclusion qui peut comporter un regard sur l’avenir, une confiance renouvelée, une promesse de glorifier Dieu à jamais ou encore une invitation lancée à la communauté.
2.1.5 Les psaumes royaux
Dans cette catégorie, il faut distinguer les psaumes qui célèbrent le roi d’Israël de ceux qui chantent la royauté de Yahvé. À l’origine de ces psaumes il faut situer les traditions sur le choix de David et la promesse de Dieu en faveur de sa famille (2S 7). De cette promesse provient un courant de confiance et d’espérance qui constitue le fond de ce qu’on appelle le messianisme royal. Ce contexte a donné lieu à des célébrations religieuses, des sacres, des noces royales et à des anniversaires d’onction qui ont fourni le milieu de vie de ces psaumes messianiques.
2.1.6 Les cantiques de Sion
Ce sont des psaumes centrés sur la proclamation de Sion comme lieu privilégié de la présence de Dieu et comme centre de son culte. Ils s’apparentent aux psaumes des montées par leur expression de la grandeur de Jérusalem dans la foi juive.
2.1.7 Les psaumes d’enseignement ou de catéchèse
L’enseignement est le but premier de ces psaumes. Ils sont pleins de références aux textes anciens. On les regroupe selon leur genre: l’histoire du peuple; la liturgie; les exhortations prophétiques ou des instructions de circonstance.
2.1.8 Les psaumes de pèlerinage ou des montées.
Ces psaumes étaient chantés au moment de la montée à Jérusalem lors des trois fêtes de pèlerinage (Ex 23, 14-17). Quatre événements structurent les psaumes de pèlerinage: a) célébration de la montée vers Jérusalem; b) cette montée rappelle la montée d’Égypte et le retour de Babylone; c) elle anticipe la montée des peuples vers Jérusalem à la fin des temps (Is 60-62).
3. La violence dans les psaumes imprécatoires
Dans le monde chrétien, la violence présente dans les psaumes fait problème. Les écrits du Nouveau Testament nous ont habitués à percevoir Dieu comme un Père miséricordieux et nous invitent à vivre comme des frères et des sœurs. Comment comprendre alors que des textes inspirés soient marqués par la violence et le désir de vengeance ? Encore là, il faut revenir à notre point de départ et convenir que la violence fait partie de l’expérience humaine. Or, comme nous l’avons mentionné plus haut, le psalmiste présente son vécu à Dieu avec toute sa pesanteur humaine. La vie terrestre n’est-elle pas tissée de violence ? Peut-on alors reprocher au psalmiste d’appeler son Dieu à l’aide ?
Notons que le psalmiste crie sa souffrance au cœur de sa situation de victime de la violence (Ps 11,2; 17, 9-10; 35, 15-16; 38, 20-21; 69, 20-22; 71, 10-11). Cependant, la prière contre les ennemis est plus embarrassante : « Traite-les d’après leurs actes et selon leurs méfaits; traite-les d’après leurs œuvres, rends-leur ce qu’ils méritent » (28, 4). Les psaumes 58, 7-11; 63, 10-11 et 149, 7-9 expriment la même réalité. Il faut alors se souvenir que nous ne sommes pas encore rendus au Nouveau Testament et que Dieu ne s’est pas encore pleinement révélé en Jésus. Les psaumes témoignent de ce long processus pédagogique de révélation et du respect de Dieu envers l’humanité de son peuple. De plus, s’il est vrai que l’histoire d’Israël dont les psaumes sont les témoins privilégiés, est notre propre histoire, les limites des psaumes ne sont-elles pas aussi les nôtres ?
Concluons sur ce point en rappelant deux remarques judicieuses de Paul Beauchamp(13). La première souligne la rareté de la qualification « ennemis de Dieu » dans le psautier. C’est le cas uniquement en 68, 2.22; 74, 23; 78, 66). La plupart du temps, ce sont ses propres ennemis que le psalmiste souhaite voir être frappés.
Beauchamp signale également que le même livre des psaumes se prononce contre la violence. Le psautier considère la violence comme une arme à deux tranchants. À preuve, citons le psaume 7, 13b-17: « Que l’ennemi affûte son épée, qu’il bande son arc et l’apprête, c’est pour lui qu’il apprête les engins de mort et fait de ses flèches des brandons; le voici en travail de malice, il a conçu la peine, il enfante le mécompte. Il ouvre une fosse et la creuse, il tombera dans le trou qu’il a fait; sa peine reviendra sur la tête, sa violence retombera sur son crâne ». De plus, Beauchamp affirme que c’est plus le mal que le psalmiste souhaite détruit que son ou ses ennemis (14).
Conclusion
Les limites imposées à cet article ont obligé l’auteur à sacrifier des éléments importants sur la lecture et la prière des psaumes. Parmi eux mentionnons la structure stylistique des psaumes qui supporte si bien le chant et la prière. Ajoutons une présentation des cinq recueils qui structurent le psautier, l’importance du symbolisme, etc. Nous espérons toutefois que les points présentés invitent les croyantes et les croyants à entrer dans la longue lignée de celles et de ceux qui ont nourri leur relation à Dieu par les psaumes.
En terminant, devant la pudeur que, comme chrétiens, nous pouvons ressentir à prier avec les mots des psaumes, rappelons-nous toujours que Jésus de Nazareth n’a pas hésité à les utiliser dans sa propre prière. Or, le disciple n’est pas plus grand que le maître! Souvenons-nous aussi que les premiers chrétiens ont mieux saisi les psaumes à partir de l’événement Jésus. C’est la raison pour laquelle ils les citent si souvent dans les écrits du Nouveau Testament, particulièrement dans les évangiles et dans les Actes des apôtres15.
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1. L’expression hébraïque qui sert à désigner le livre des psaumes est « sefer tehillim », le livre des louanges. Or à fréquenter les 150 psaumes, on se rend vite compte que tous les psaumes ne sont pas des louanges. La prière de supplication occupe aussi une place importante. Le terme grec « psalmoi » évoque plutôt le fait de pincer une corde ou faire de la musique. Les psaumes seraient donc des chants, des poèmes accompagnés de musique qui expriment les sentiments du cœur humain. À cet égard, voir Constitution apostolique promulguant l’Office divin, chapitre III, no 103.
2. Dans ce texte, l’emploi du masculin inclut également celui du féminin.
3. «La Psalmodie laboure le terrain, creuse le désir, ensemence, travaille le cœur en mémoire, admiration, louange au rappel de tout ce que Dieu a fait; elle ravive la conscience de l’homme pauvre, petit, pécheur, qui supplie, demande, prie. C’est un temps d’entretien ». Centre national de pastorale liturgique, Prière du temps présent : comment s’y retrouver ? Paris, Cerf/ Desclée/ Desclée de Brouwer / Mame, 1991, p. 10.
4. Même la Constitution apostolique promulguant l’Office divin reconnaît ces difficultés, chapitre III, no 101 et 108. C’est pourquoi, elle invite les priants à lire les psaumes dans leur sens plénier, messianique, christologique, no 109.
5. Lorsque nous utilisons le mot « psalmiste » au singulier, nous ne voulons pas laisser entendre que le livre des psaumes est attribuable à un seul auteur. L’emploi de ce terme au singulier englobe tous les psalmistes à moins que le contexte oblige à y voir l’auteur d’un psaume en particulier.
6. Avec justesse, MAILHOT mentionne que le Dieu des psalmistes est le Dieu qui s’est révélé à Moïse comme le Dieu transcendant dans le buisson ardent qui ne se consume pas et le Dieu qui a vu la misère de son peuple. . MAILHOT, G.-D., Les Psaumes. Prier Dieu avec les paroles de Dieu. Montréal, MédiasPaul, 2003, p. 38. Le même auteur écrit: «Yahvé, Seigneur, tu es mon Dieu et tu seras toujours mon Dieu. Voilà tout ce que renferme le cri théologal des psalmistes, quoi qu’il arrive!… », idem, p. 46.
7. « Bien que ces poèmes soient nés en Orient il y a de nombreux siècles, ils expriment bien les douleurs et l’espérance, la misère et la confiance des hommes de toute époque et de toute région, et surtout, ils chantent la foi en Dieu, ainsi que la révélation et la rédemption ». (Constitution apostolique promulguant l’Office divin, chapitre III, no 107).
8. Et cela, même si une étude critique des texte demeure toujours un préalable indispensable (Constitution apostolique, op.cit.).
9. En réaction aux auteurs de la réforme liturgique qui ont retiré un petit nombre de psaumes et certains versets plus durs, Collin écrit : «On peut penser- et c’est ce que nous allons essayer de montrer- que ces réactions sont superficielles et qu’elles ne font pas droit à la profonde humanité du Psautier, qui et tout simplement la nôtre. Les psaumes nous ramènent sans cesse aux véritables enjeux de notre existence».
Matthieu COLLIN, Le livre des Psaumes. Cahier Évangile, no 92. Paris, Cerf, 1995, p. 52.
10. Mailhot propose une autre clé fort intéressante pour aider le croyant à entrer dans la prière avec les psaumes : « faire l’acte de foi que l’histoire d’Israël est notre propre histoire », op. cit., p. 31.
11. Pour une étude beaucoup plus complète, voir : MAILHOT, op.cit., p. 51-200. La Constitution apostolique promulguant l’Office divin souligne également l’importance de tenir compte de ces genres littéraires dans la prière des psaumes (chapitre III, no 106).
12. Op.cit. p. 154.
13. BEAUCHAMP, P., Violence et Bible. La prière contre les ennemis dans les Psaumes. Document de l’épiscopat français, no 11, 1986, p. 2.
14. « La prière contre les ennemis peut garder tout son sens quand elle demande la destruction de leur mal, non celle de leur personne. Les ennemis seront détruits quand ils seront justes.» cité dans Collin, op. cit., p. 53.
15. Pour une brève présentation de l’usage d es psaumes par Jésus et les chrétiens, voir MAILHIOT, op.cit. p. 26-30 et Michel GOURGUES, Les Psaumes et Jésus. Jésus et les Psaumes. Cahier Évangile, no 25. Paris, Cerf, 1978, 62 p.