Amour plus fort que la mort
Des sadducéens – ceux qui prétendent qu’il n’y a pas de résurrection – vinrent trouver Jésus, et ils l’interrogèrent : « Maître, Moïse nous a donné cette loi : Si un homme a un frère marié mais qui meurt sans enfant, qu’il épouse la veuve pour donner une descendance à son frère. Or, cet homme avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants. Finalement la femme mourut aussi. À la résurrection, cette femme, de qui sera-t-elle l’épouse puisque les sept l’ont eue pour femme ? » Jésus répond : « Les enfants de ce monde se marient. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne se marient pas, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont fils de Dieu héritiers de la résurrection. Quant à dire que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur : le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ; tous vivent en effet pour lui. »
Commentaire :
Ce texte est de nature à nous inviter à une lecture chrétienne des Écritures. Il fait partie de trois controverses que Jésus dut subir de la part des Pharisiens et Sadducéens quelques jours avant sa mort. Les premiers l’interrogèrent sur l’impôt du à César et le grand commandement, et les seconds sur la résurrection. Tel est l’épisode dont nous faisons mémoire en ce jour. Le pourquoi de cette évocation apparemment sans intérêt pour nous est de nous apprendre comment Jésus fermait la bouche de ses adversaires qui au fond ne posaient ces questions que pour le prendre au piège. Le Christ argumente toujours à partir des Écritures comme au soir de Pâques alors qu’ il éclaira l’esprit des disciples d’Emmaüs en leur ouvrant l’intelligence aux Écritures (Lc. 24 : 45). Il existe toujours une correspondance entre l’un et l’autre Testament, et l’objet de cet enseignement de Luc est de nous inviter à une lecture chrétienne de l’Ancien Testament, c’est à dire cette partie de la Bible qui précède l’avènement du Christ.
Avant tout, qui étaient les interlocuteurs de Jésus ? D’abord les Pharisiens. Bien qu’ils soient objet de préjugés désavantageux, ceux-ci étaient des justes, soucieux de miser toute leur vie sur Dieu et d’accomplir en tout sa sainte volonté. Leur seul défaut était celui du Pharisien au Temple : croire que leur justice ne provenait que de leurs efforts. Les Pharisiens croyaient en la résurrection. Par contre les Sadducéens, aristocrates, laxistes d’une part, mais rigoureux d’autre part sur les questions de morale, ne reconnaissaient que la Loi de Moïse ; tous les autres livres de l’Écriture leur paraissaient comme déviations doctrinales et ils refusaient de croire en la Résurrection. Paul saura tirer profit de cette opposition entre Pharisiens et Sadducéens lorsqu’il sera traduit devant le Sanhédrin (Ac. 23 : 6-10).
Les Sudducéens tentent donc de prendre Jésus au piège. Dans une question non moins habile que ridicule, ils mettent Jésus en devoir de prendre position soit par le désaveu de ses croyances en la résurrection, soit par le ridicule d’une question pleine d’aberrations. Prenant appui sur la Loi du « lévirat » (Dt. 25 : 5-10), quel sera le sort du beau-frère qui devait prendre sa belle-sœur pour épouse lorsque celle-ci, à la mort de son époux, était laissée veuve sans enfant mâle. Il était primordial de susciter une postérité au frère défunt. Dans les civilisations orientales, le cœur de l’homme entretenait le désir de se survivre dans ses enfants. A une époque où l’idée de la résurrection était utopique, c’était là une réponse au désir d’immortalité. Les Sadducéens poussent donc à l’extrême les conséquences d’une erreur consistant à figurer l’après-vie selon les réalités présentes de notre existence actuelle. Au fond, leur pensée est de tourner en ridicule la foi en la résurrection.
La vie des ressuscités est inimaginable, de répondre Jésus. Le comment de cette vie après la mort échappe vraiment à tous. Cette vie ne sera point sur le modèle de la nôtre, enseigne Jésus. Il distingue entre les « enfants de ce monde » qui se marient, et ceux qui, jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts », ne se marient pas. L.’expression « jugés dignes » figurent habituellement sous la plume des apôtres en relation avec les épreuves « vécues en union avec le Christ. » Les apôtres quittent le Sanhédrin « tout heureux d’avoir été jugé dignes de subir les outrages pour le nom de Jésus » (Ac. 5 : 41), et Paul rend hommage aux Thessaloniciens « jugés dignes du Royaume de Dieu pour lequel vous souffrez » (2 Th. 1 : 5). L’essentiel ne consiste pas à imaginer un monde inimaginable, mais de croire qu’il sera un monde transfiguré et que pour y pénétrer, il importe de vivre et de passer par la mort avec Jésus Christ.
« Ils seront fils de Dieu » : Jésus ne fait pas ici allusion à la condition angélique, purs esprits ou âmes séparées ; nous serons introduits par la mort dans l’inimité de Dieu comme des fils, comme son Fils. Le but de Dieu est de faire de nous ses fils Dieu a envoyé son fils pour faire de nous des enfants d’adoption, ses fils (Ga. 4 : 5-7 et Rm. 8 : 14-15), Jésus tente de tirer ses interlocuteurs de la simple casuistique pour les introduire au cœur de la foi. Et il tire la preuve de tout à partir de Écritures, comme aux disciples sur la route d’Emmaüs. Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est le Dieu qui a protégé et sauvé les Pères ; il est le Rocher, la Forteresse, le Dieu de l’Alliance toujours fidèle envers lui-même (Ex. 3+4). S‘il était le Dieu des morts, il se contredirait : ce serait l’aveu d’un échec. Le seul vrai malheur est la mort, et si Abraham était mort à jamais, le secours garanti par l’expression « Dieu d’Abraham » ne serait qu’une dérision. Pour demeurer fidèle à lui-même. Dieu ressuscite son peuple et triomphe de la mort. Et de façon à rendre le vérité plus incontournable encore pour les Grecs, Luc ajoute : « Tous en effet vivent par Lui ». Si Dieu a donné la vie à Abraham, ce même Dieu ne peut cesser de donner la vie même dans l’au-delà, et les patriarches en bénéficient ainsi que tous ceux qui en seront jugés dignes. Ainsi confessait la psalmiste « Tu m’aimes trop pour me laisser dans la fosse » (Ps 16), « Je t’aime trop pour ne pas t’aimer encore après cette vie » (Ps. 71)
Ainsi le croyant peut-il et doit-il rendre compte de l’espérance qui est en lui (1 P. 3 : 15) Si nous croyons à la résurrection, c’est que nous sommes sûrs d’être aimés par le Dieu vivant, même si ne l’aimons que pauvrement. La foi en la résurrection n’est pas un opium rassurant, mais la certitude et la reconnaissance d’avoir été rencontrés et aimés par le Dieu Vivant et d’avouer sa puissance à l’œuvre en son Fils « Premier-né d’entre les morts ». Présenter la résurrection aux hommes d’aujourd’hui ne peut consister à discuter sur des textes, mais à témoigner par notre vie d’amour chaque jour en Dieu, par Dieu et pour Dieu.
« L’amour est plus fort que la mort »