Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : ‘ Déracine-toi et va te planter dans la mer ‘, et il vous obéirait. « Lequel d’entre vous, quand son serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘ Viens vite à table ‘ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘ Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et que je boive. Ensuite tu pourras manger et boire à ton tour.’ Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : ‘ Nous sommes des serviteurs quelconque : nous n’avons fait que notre devoir.’ »
Commentaire :
Une fois encore, avec divers éléments indépendants à l’origine, Luc compose une petite catéchèse sur la foi, faite d’une sentence figurée et d’une parabole. Nous sommes toujours, ce qui est à retenir, sur la route qui monte à Jérusalem (9 : 51 – 19 : 28), et dans une partie évangélique toute faite d’enseignements plus que de relation d’événements. Après une instruction aux disciples (16 : 1-13), puis aux Pharisiens (16 : 14-31), Jésus revient aux apôtres pour donner des consignes relatives à leur mission. La demande de ceux-ci nous place en situation : « Augmente en nous la foi ». Les apôtres seront les grands responsables de l’éducation de la foi tant chez les Juifs que chez les disciples, jusqu’aux extrémités du monde ( 24 : 36-49). Un seul autre personnage avait fait semblable prière, le père de l’enfant possédé : « Viens en aide à mon incrédulité » (Mc. 9 : 24). Faut-il placer cette supplique après Pâques, et de quelle foi s’agit-il ? Certes pas d’une foi charismatique, spécialisée dans l’accomplissement des miracles. Pour Luc, une seule foi importe : accueillir la parole de l’évangile (8 : 12-13 ; 22 : 67) et s’engager à la suite de Jésus (7 : 50 ; 12 : 46)
Sans répondre explicitement à leur demande, Jésus reconnaît la foi de ses apôtres, mais il prend occasion pour proclamer la puissance de la foi si peu qu’on en ait. Et c’est par un exemple paradoxal, dans le genre parabolique, que Jésus va donner réponse. Rien n’est impossible à la foi ; déjà les apôtres ont fait des merveilles dans la prédication de l’évangile. Mais cette efficacité malgré le peu de foi qu’ils peuvent avoir vient de Jésus ainsi que son accroissement. La primauté de la grâce, voilà bien l’enseignement servi dans les versets qui suivent tous illustrés par le service de l’esclave.
L’esclave en droit romain est la propriété du maître, et aucun droit ne lui est reconnu. Le travail accompli, il ne doit s’attendre à nul salaire, reconnaissance ou autre. Ainsi des apôtres : leur tâche d’évangélisation accompli avec succès, qu’il se regardent comme esclaves, inutiles, inefficaces, sans rendement. Son travail apostolique accompli, l’apôtre n’a, comme l’esclave, aucun droit à faire valoir ou se faire valoir ; qu’ils se reconnaissent totalement inefficaces devant Dieu à qui seul reviennent l’initiative et l’efficacité.
Pour replacer cette page d’évangile dans le contexte de l’Église primitive, il faut reconnaître que la foi dont les premiers croyants ont hérité des apôtres demeure efficace, mais encore doivent-ils la demander humblement parce qu’elle demeure toujours l’action propre du Seigneur. La foi est une grâce des plus gratuite qui soit. Que nul ne cherche à faire valoir son mérite ou ses droits comme le Pharisien au Temple (18 : 11-12). Tout est grâce, ainsi Luc présente-t-il la foi à la suite de Paul ( Ac. 13 : 38-39 et Ph. 3 : 4-9) L’intention profonde de l’évangéliste dans cette page est de convaincre tout médiateur de la Bonne Nouvelle de son rôle de serviteur. Faut-il croire que le service gratuit était chose plutôt rare dans le milieu de Jésus où le souci de la rétribution dominait jusqu’aux disciples. « Seigneur, on a tout quitté pour te suivre. Quelle sera notre récompense ? »
Deux leçons se dégagent donc de ce passage : la puissance de la foi qui triomphe de l’impossible et la gratuité absolue du service de Dieu.