Évêque d’Antioche, Jean Chrysostome écrivait ce testament pathétique avant de partir en exil. Le plus grand orateur de l’Église orientale, celui que l’on surnomma au VIe siècle « bouche d’or » (chrysostome) avait également une plume en or, ruisselante de sentiments et d’émotions dont il sait traduire toute l’intensité. Il fait penser à l’Apôtre des nations, en le lisant, nous croirions entendre saint Paul, l’orateur de l’aréopage (Ac. 17 : 22+) tant il sait faire vibrer les voûtes de sa cathédrale d’Antioche par la puissance de son verbe et l’interpellation de sa foi et de son amour. D’ailleurs Jean citait souvent Paul comme un exemple : « Personne n’est plus grand que lui-même, ni l’égal de ce vieux gymnaste assis au bord de l’arène et qui donne des conseil aux vieux lutteurs ». Ses différents avec l’impératrice Eudoxie lui valurent d’être déposé comme évêque, puis banni définitivement. Il mourut en chemin, épuisé, le 14 septembre 407. L’attachement de Jean à sa communauté le soutiendra au moment de l’exil : « Je ne sais si, pendant mon absence, vous avez pensé à moi ; pour ma part, je n’ai jamais pu éloigner votre souvenir de ma mémoire, et quand bien même j’avais quitté la ville, je n’arrivais pas à me détacher de vous. Épris de votre charme spirituel, j’en emporte toujours l’éclatant souvenir avec moi comme les amoureux d’une beauté périssable qui, à chacun de leurs déplacements, emportent avec eux l’image de l’être aimé ».
Les vagues sont violentes, la houle est terrible, mais nous ne craignons pas d’être engloutis par la mer, car nous sommes debout sur le roc. Que la mer soit furieuse, elle ne peut briser ce roc ; que les flots se soulèvent, ils sont incapables d’engloutir la barque de Jésus. Que craindrions-nous ? Dites-le moi. La mort ? Pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. L’exil ? La terre appartient au Seigneur, avec tout ce que la remplit. La confiscation des biens ? De même que nous n’avons rien apporté dans ce monde, nous ne pourrons rien emporter. Les menaces du monde, je les méprise ; ses faveurs, je m’en moque. Je ne crains pas la pauvreté, je ne désire pas la richesse ; je ne crains pas la mort, je ne désire pas vivre, sinon pour vous faire progresser. C’est à cause de cela que je vous avertis de ce qui se passe, et j’exhorte votre charité à la confiance.
N’entendez-vous pas cette parole du Seigneur : Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ? Et là où un peuple aussi nombreux est uni par le lien de la charité, le Seigneur ne serait pas présent ? J’ai sa garantie : est-ce à ma propre force que je fais confiance ? Je possède sa parole : voilà mon appui, voilà ma sécurité, voilà mon havre de paix. Que l’univers se soulève, je possède cette parole, j’en lis le texte : voilà mon rempart, voilà ma sécurité.Quel Texte ? Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin de s temps.
Le Christ est avec moi : que vais-je craindre ? Même si les flots de la mer ou la colère des puissants s’élèvent contre moi, tout cela est aussi peu de choses pour moi qu’une toile d’araignée. Et sans l’amour que j’ai pour vous, je n’aurais pas refusé de partir aujourd’hui même. Car je ne cesse de dire : Seigneur, que ta volonté soit faite. Non pas ce que veut un tel ou un tel, mais ce que tu veux. C’est là ma citadelle, c’est là mon roc inébranlable, c’est là mon appui solide. Que la volonté de Dieu se fasse. S’il veut que je reste ici, je rends grâce. Quel que soit le lieu où il me veuille, je le bénis.
En quelque lieu que je sois, vous y êtes aussi : le corps ne se sépare pas de la tête, ni la tête du corps. Si nous sommes éloignés par la distance, nous sommes unis par la charité et la mort elle-même ne pourra couper ce lien. Si mon corps vient à mourir, mon âme restera vivante et se souviendra de mon peuple.
Vous êtes mes concitoyens, vous êtes mes pères, vous êtes mes frères, vous êtes mes enfants, vous êtes mes membres, vous êtes mon corps, vous êtes ma lumière, et même vous êtes plus doux pour moi que la lumière. En effet, la lumière du soleil ne m’apporte rien de comparable à ce que m’apporte votre charité. Le soleil m’est utile à présent, mais votre charité me prépare une couronne pour l’avenir.