Le deuxième lundi d’octobre, c’est congé là où j’habite. C’est fête de l’action de grâce. Et avec raison. La nature étale sa générosité en cette saison des grands mûrissements.
J’en connais qui n’aiment pas l’automne à cause des grands vents cinglants et des froids qui annoncent l’hiver. Ceux-là oublient trop le reste. Ils oublient les jardins qui chantent l’abondance. Ils oublient les parfums des fines herbes qui pénètrent jusque dans les cuisines et atterrissent sur la table familiale. Ils oublient les saveurs des fruits et des légumes fraîchement cueillis. Ils oublient les arabesques que se dessinent les champignons. Ils oublient le jeu chatoyant des couleurs qui dépose un arc-en-ciel sur les forêts d’érables et de merisiers. Ils oublient les derniers sursauts d’élégance dont se drapent les fleurs. Ils oublient le chant des oiseaux qui s’arrêtent, le temps de trois graines de tournesol, avant de poursuivre leur migration jusque dans les mers du sud. Ils oublient tout ce que le printemps a fait naître, tout ce que l’été a couvé et fait croître…
Étonnant automne! Merveilleuse saison qui ne cesse de nous surprendre dans ses oeuvres. J’admire l’être humain aux possibilités créatrices presque infinies. Mais il y a ici artiste plus génial encore. C’est l’automne que je crois le plus facilement en l’existence de Dieu. Toute la nature me parle de lui. Sa complexité me révèle l’inouï pouvoir de création de Dieu. Cet univers aux multiples ramifications est avant tout l’action de la grâce d’un Dieu qui donne généreusement et qui donne en toute gratuité. Pure grâce.
L’automne me rappelle que tout est don: la vie, la nature, les découvertes, l’intelligence et ses réalisations. Tout est don y compris nos amours, nos élans de solidarité, nos entreprises de toute sorte. Tout est offrande. Nous habitons une terre offerte. Dieu célèbre une liturgie de la richesse qu’il confie à l’humanité. Dieu nous fait l’honneur de tout nous donner. Dieu est en action de grâce auprès de nous.
Quant à nous, dans cette action de grâce, pouvons-nous être autre chose que des hommes et des femmes de l’accueil. Même en inventant, même en prenant des initiatives, nous n’arrivons pas à faire autre chose que d’accueillir l’oeuvre de Dieu, de nous faire vivre de sa générosité. Quand nous nous assoyons devant une table plantureuse ou frugale, nous avons l’impression d’avoir gagné notre pitance. Mais, en fait, nous l’avons reçu même si elle nous a coûté des efforts, même si nous l’avons reçu à la sueur de notre front. Je ne suis pas propriétaire de ce que j’ai, même de ce que j’ai payé. Tout m’est, d’une certaine, façon prêté. Parfois j’aurais mille raisons de croire que je mérite ce que j’ai. Même ces jours-là, je continue de penser que tout m’est offert pour rien, pour la joie que Dieu éprouve à donner.
Un dû? Non! Une chance? Peut-être! Mais surtout et avant tout, une grâce! Et une grâce à partager. Tant d’autres ne sont pas gâtés comme je le suis. Tant d’autres attendent le don de Dieu qui doit passer par mes mains. Tant d’autres veulent accueillir et entrer à leur tour dans l’action de grâce. Ce que j’ai reçu, je l’ai reçu pour le partager.
Lundi de l’action de grâce. Vingt-quatre petites heures pour reconnaître que rien n’est petit puisque tout vient de Dieu.