Dimanche soir. Nous reprenons les rassemblements dominicaux de la communauté chrétienne au moment de la rentrée universitaire. De jeunes étudiants s’entassent dans la première moitié de l’église. Ils chantent avec ardeur. Ils écoutent la Parole avec grande attention. Puis vient la prédication.
Le prédicateur commence son homélie par une activité: «Demandez à votre voisin de vous dire de quel pays il vient». Il faut trois secondes pour prononcer le nom d’un pays. Les étudiants en prennent soixante. Ça parle partout dans l’église. Et le prédicateur a peine à ramener son monde. Il propose: «Dites à toute l’assemblée le pays d’origine de votre voisin».
Les réponses fusent de partout: «Roger vient du Bénin… Clothilde vient de la France… Caroline du Luxembourg… Jorghe du Pérou… Gérard de l’Inde… Sybille de l’Allemagne… Paul de France… Michel de Québec… Ursula d’Allemagne… Rémi du Sénégal… Jovani du Honduras…»
La litanie est longue. Elle ceinture la terre plus d’une fois. Elle étale devant nous des paysages. Elle réveille des odeurs, des saveurs, des musiques… C’est le rassemblement des nations, la chorale internationale, l’arc-en-ciel des peuples.
Des jeunes joyeux, tranquilles, heureux de se retrouver après les vacances ou contents de découvrir des gens sympathiques, presqu’une famille. Histoire d’adoucir le déchirement, loin de la patrie affectueuse et protectrice. C’était déjà une aventure que de quitter la terre ancestrale. La communauté étudiante et le pays d’adoption vont susciter d’autres découvertes, des amitiés neuves, des cultures insoupçonnées… Et si se cachait ici l’âme soeur, celle ou celui avec qui on enclenchera le reste de sa vie… Si s’offrait ici la plus belle amitié qui puisse exister… Si le pays se révélait une seconde mère-patrie… Beaucoup de «si» aux accents de rêves, pleins de désirs et d’espoirs., chargés d’idéal.
Je me plais à contempler ce tableau qui se dresse devant moi comme une icône sacrée. Je contemple les désirs les plus profonds de tout coeur humain. Je contemple la fraternité qui germe lentement, imperceptiblement dans toute personne, même la plus violente, même la plus méchante.
En ces temps où la terreur règne d’un bout à l’autre de la planète, avec les peurs qu’elle suscite et les rages qu’elle fait naître, cette eucharistie surgit comme une oasis paisible. Elle ressemble à ces oracles qui annonçaient l’apparition de jardins en fleurs au milieu des déserts. Elle ressemble aux sources que les bédouins ont rêvées en traversant les grands espaces ensablés, arides et secs.
D’un dimanche à l’autre, ce groupe d’étudiants renouvellera la magie de cette communion que nous cherchons depuis toujours. Ce ne sera pas toujours au beau fixe. L’orage pourra surgir, le tonnerre, les tremblements de terre. Rien n’est parfait sur cette terre. Mais il n’est pas défendu de souhaiter l’impossible. Il n’est pas défendu de construire lentement des ponts de rapprochement, des maisons de la paix, des lieux de sérénité. Il n’est pas défendu d’essayer de dépasser les duretés et les haines.
Ce rassemblement dominical se dressera dans la cité et sur la planète comme une contestation de la terreur et un appel au dépassement. Ces étudiants ne s’en rendent pas compte mais ils vivent la plus formidable révolution qui puisse surgir dans le monde. Car c’est une véritable révolution, chaque fois qu’un homme, qu’une femme, qu’un vieillard ou un enfant relève le défi d’aimer et de s’ouvrir aux autres.