Nos convives
Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes au contraire récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Alors Jésus leur dit cette parabole : « Si l’un de vous a cent brebis et en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue jusqu’à ce qu’il la retrouve ? Quand il l’a retrouvée, tout joyeux, il la prend sur ses épaules, et, de retour chez lui, il réunit ses amis et ses voisins et leur dit : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !’ Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion. Ou encore, si une femme a dix pièces d’argent et en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Quand elle l’a retrouvée, elle réunit ses amies et ses voisines et leur dit : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !’ De même, je vous le dis : Il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »
Commentaire :
L’inoubliable chapitre 15e de saint Luc, le cœur de l’évangile ! La parabole de la brebis perdue constitue une réponse aux critiques hostiles des adversaires de Jésus : comment justifier l’accueil que Jésus fait aux pécheurs ce qui allait à l’encontre de la Loi. La version de Luc correspondrait davantage à la signification originelle de la parabole. Alors que saint Matthieu (18 : 12-14) insiste sur la conduite du berger, Luc met davantage en valeur la joie du berger qui a retrouvé sa brebis, écho de la joie de Dieu pour un seul pécheur qui se repent. Une seule brebis prend alors plus d’importance aux yeux du berger que les quatre-vingt-dix-neuf autres. Cette représentation quantitative correspond dans la réalité à une anomalie qualitative. Ici et de tous les temps, Jésus étonne et scandalise ceux qui se considèrent comme justes et estiment qu’un homme se disant de Dieu devrait se réserver plutôt aux gens pieux qu’aux pécheurs. Jésus tente donc de justifier sa propre conduite et ce faisant il illustre la miséricorde de son Père. Alors que l’on mettait en question sa conduite, Jésus répond en parlant de ce qu’est la conduite de Dieu. Il veut identifier l’agir de Dieu et son agir propre. « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » ( 19 : 10). La parabole qui suit, celle de la drachme retrouvée, comporte une leçon et un sens identique. L’intention de l’auteur, cette fois encore, n’est pas d’exalter le repentir et la conversion du pécheur, mais l’insistance de la femme à rechercher sa drachme perdue, conduite parfaitement fidèle à la conduite de Dieu. Suit alors la parabole du fils prodigue.
Ce chapitre 15e est de même structure que le 13e de Luc : après une brève introduction, deux courtes comparaisons suivent. Ici, comme un refrain ce chapitre 15 reprend entre les sections : « Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée …» Explosion de joie communicative chez celui qui a retrouvé ce qu’il avait perdu. Dans un désir d’unifier les trois paraboles et de projeter sur les deux premières la leçon de la troisième, Luc insiste brièvement sur le repentir de l’enfant prodigue qui exprime son véritable sentiment de contrition par son retour à la maison paternelle. Cela ne signifie nullement que toute la section porte sur le repentir même si l’auteur l’écrit en 5 : 27-32 : « Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs au repentir ».
Ces paraboles nous sont présentées comme une réponse de Jésus aux murmures des Pharisiens et des scribes. Elles comportent une visée polémique. Mais ce chapitre était-il encore d’actualité pour les chrétiens du premier siècle auxquels Luc destinait son ouvrage ? Il est possible que ces nouveaux convertis distinguaient deux catégories dans l’Église, parmi leurs co-religionnaires : les abservants et les non-observants, les uns comme les autres se réclamant du Christ sans l’être pour les uns à part entière. Les repas communs constituaient le lieu de semblables discussions et parfois l’occasion d’excommunications. Relisons les Actes des Apôtres ( 10 : 41 ; 11 : 13 et Ga. 2 : 12) Faut-il recevoir comme chrétiens ces gens avec un passé douteux, ou accueillir des chrétiens dont la conduite était peu conforme à la morale de l’évangile. Une seconde ligne de pensée pour justifier ce chapitre dans l’œuvre de Luc serait de rappeler le refus par la plupart des Juifs et le bon accueil réservé aux païens, ce à quoi Paul fait allusion ( Ac. 28 : 25-28)
Notre table est-elle sur le modèle de celle de Jésus ? Y accueillons-nous volontiers les mêmes convives?