Au travail ! C’est l’heure
Après cela, le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux devant lui dans toutes les villes et localités où lui-même devait aller. 2 Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. 3 Allez ! Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. 4 N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales, et ne vous attardez pas en salutations sur la route. 5 Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’ 6 S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. 7 Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous servira ; car le travailleur mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. 8 Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qu’on vous offrira. 9 Là, guérissez les malades, et dites aux habitants : ‘Le règne de Dieu est tout proche de vous.’ 10 Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, sortez sur les places et dites : 11 ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la laisser. Pourtant sachez-le : le règne de Dieu est tout proche.’ 12 Je vous le déclare : au jour du Jugement, Sodome sera traitée moins sévèrement que cette ville. 13 Malheureuse es-tu, Corazaïn ! Malheureuse es-tu, Bethsaïde ! Car, si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que les gens y auraient pris le vêtement de deuil, et se seraient assis dans la cendre en signe de pénitence. 14 En tout cas, Tyr et Sidon seront traitées moins sévèrement que vous lors du Jugement. 15 Et toi, Capharnaüm, seras-tu donc élevée jusqu’au ciel ? Non, tu descendras jusqu’au séjour des morts ! 16 Celui qui vous écoute m’écoute ; celui qui vous rejette me rejette ; et celui qui me rejette rejette celui qui m’a envoyé. »17 Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux. Ils racontaient : « Seigneur, même les esprits mauvais nous sont soumis en ton nom. » 18 Jésus leur dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair. 19 Vous, je vous ai donné pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et pouvoir sur toute la puissance de l’Ennemi ; et rien ne pourra vous faire du mal. 20 Cependant, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux. »
Commentaire :
Qui étaient ces soixante-douze ? Des apôtres ( 6 : 13, 9 : 13), des disciples (9 : 54; 10 : 23 ) ? La péricope les définit comme des « envoyés », des «« messagers » investis de pouvoirs. Le chiffre devait correspondre au nombre de peuples de la terre alors connus ( Gn 10 ; Dt. 32 : 8-9) . La mission confiée introduit la longue montée vers Jérusalem ( 9 : 51 – 19 : 27). Chez Luc, elle concerne le monde entier et débute par le pays de Samaritains. C’est un véritable « Discours de mission » que l’évangéliste tient à ses ouailles, avec moult réminiscences de paroles de Jésus. Le monde entier leur est ouvert, sans exception du monde païen parmi lequel ils seront ( comme des agneaux au milieu des loups ) ; Tyr et Sidon deviennent sur les lèvres de l’évangéliste comme le symbole de la disponibilité des païens par opposition à l’endurcissement du monde Juif. Cette mission dans le monde païen, Luc en décrira les péripéties dans son livre des Actes des Apôtres ( 4 :25-29 ; 13 : 44-51 ; 28 : 23-28) et dans les jours qui suivront la Pentecôte.
Nous pouvons aisément diviser en deux parties le passage de ce jour : l’envoi (1-16 ) et le retour (17-20). Si la première section se situe autour de la personne de Jésus, la seconde nous projette au-delà de l’histoire. Deux moments définissent la mission : avant tout le choix ou la désignation, geste essentiel à l’attribution des ministères dans les premiers temps de l’Église ( Ac. 1 : 24 ; 6 : 3-6; 13 : 2-3) ; puis l’envoie où l’on devait se rendre, soit « toute ville et lieu », contrées et pays. Matthieu parle de « villes et bourgades ».
Mais cette perspective universelle de la mission se heurte à la pénurie des ouvriers. La moisson abondante maintient le discours dans son universalité, car le terme « abondant » sert souvent dans la Bible à désigner le monde païen (Jn. 12 : 24). Soixante-douze, c’est bien peu ! Sans doute décrit-il la communauté de Luc perdue au sein du monde païen, le « petit troupeau » (12 :32) Suit une injonction de nature à résorber la disproportion : « Priez donc », suivi de l’ordre « Allez , je vous envoie ». Jésus prend toute initiative. Suivent alors les conditions inhérentes à toute mission du Seigneur, modalités négatives et positives. Les envoyés sont invités à quitter un certain monde obsédé par la recherche de l’avoir et l’abondance de paroles ; la relation entre envoyés et destinataires reposent sur d’autres moyens plus efficaces. Les lieux de la mission sont précisés : toute maison où règne la concorde et la paix deviendra lieu de prédilection, telle la maison de Zachée ( 19 : 9) et celles des chrétiens de Jérusalem (Ac. 2 : 44-46 ). Les communautés deviendront en outre responsables du soutien matériel des missionnaires ainsi que de leur séjour. Dans le cas de rejet ou de refus, l’annonce d’un jugement sans pitié ne tarde pas : la mort pour qui refuse la vie. Un même sort attend les Juifs et les païens, bien que ces derniers soient, contrairement aux peuple juif, présentés avec toute leur ouverture et accueil aux messagers.
Le retour
L’ennemi vaincu, c’est l’euphorie et l’invitation au repos. Dans les liturgies primitives, la parole faisait corps avec la vie, et l’action de grâce suivait les témoignages de vie. Jésus complète en portant plus haut l’objet de la reconnaissance : la chute de Satan, la fin de son Règne; la transmission de pouvoir de Jésus à ses Envoyés et l’élévation des Apôtres. Ils règneront sur tous ces lieux laissés vides par la chute de Satan. Le monde nouveau établi par leur mission (22 : 29-30)
Avec la Pentecôte, l’heure de la moisson a sonné et elle ne cesse de se faire entendre. Chaque jour, quelque part, la moisson mûrit et le Maître ne cesse d’appeler. Où que nous soyons, qui que nous soyons, nous partageons tous une même responsabilité : « Priez…Allez, je vous envoie ».