Un jour, une femme qui venait de donner naissance à son premier enfant me fit la confidence suivante: «Dans ma vie, je me suis souvent demandé si je serais capable de mourir pour sauver quelqu’un. Je me suis posé la question à propos de mon mari. Jusqu’à maintenant, je n’ai jamais pu affirmer avec certitude que je pourrais le faire. Mais aujourd’hui, je sais, et je sais jusque dans ma chair, que je peux mourir pour quelqu’un. Je viens d’accoucher du seul être au monde dont je suis persuadée que je mourrais pour lui.»
Quand Judas est sorti de la salle où étaient réunis Jésus et ses apôtres le jeudi saint au soir, Jésus savait très bien ce qu’allait faire son disciple. Il allait le trahir. Et la trahison allait être suivie de l’arrestation, du procès, de la condamnation et, finalement, de la mort de Jésus. La fin, la fin tragique de sa vie. Et pourtant Jésus déclare: «Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui.» (Jean 13, 31) «Maintenant», dit-il, pas hier ou plus tard, «maintenant»!
En quoi, la trahison de Judas exprime-t-elle la gloire du Christ et celle de Dieu? En laissant partir Judas, en l’invitant même à faire ce qu’il avait à faire, Jésus révélait jusqu’où l’amour peut aller. Jusqu’à mourir. Jusqu’à tout donner, même la vie. «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.» (15, 13) La gloire du Christ, c’est l’amour, un amour extrême. Un amour qui accepte de perdre le bien le plus précieux auquel nous puissions être attaché: la vie!
Et Jésus d’ajouter après avoir reconnu l’extrême de son amour: «Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres.» (13, 34) La demande de Jésus est exigeante. Elle dépasse nos forces. Qui peut vraiment donner sa vie, accepter de la perdre pour d’autres? Même pour les plus aimables personnes qui puissent exister?
C’est déjà difficile de donner sa vie pour nos plus proches, pour celui ou celle qui est l’amour de notre vie. Comment y parvenir quand Jésus demande d’aimer ses autres disciples d’un amour aussi absolu? Nous ne les avons pas choisis, ces hommes et ces femmes qui croient au Christ. Il n’y a pas nécessairement d’affinité entre nous. Le sentiment peut ne pas être là quand nous rencontrons un autre chrétien.
Cela suppose donc l’amour le plus gratuit possible. Aimer l’autre pour lui-même. Donner sans attendre en retour. Aimer sans intérêt, même pas pour le bien que cela nous fait. C’est beaucoup nous demander. C’est même nous demander l’impossible.
Cela peut devenir possible cependant si Dieu nous en fait la grâce. Ce que j’appellerais une «grâce de maternité»: la grâce de porter l’autre en soi comme la mère porte son enfant, d’en faire la chair de sa chair, l’esprit de son esprit, le coeur de son coeur.
De toute éternité, Dieu nous porte en son sein comme une véritable mère. Il accouche de nous jour après jour en nous donnant constamment sa vie. Et avec sa vie, son amour. C’est en vivant de cet amour que tout devient possible, y compris d’aimer les autres jusqu’à donner notre vie pour eux. Tout est grâce, tout est «grâce de maternité»!