Dilemne et suspense
« Je vous l’ai dit, mais vous ne me croyez pas. Les oeuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage ; mais vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. Mes brebis écoutent ma voix ; je les connais et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle ; elles ne périront jamais et nul ne les arrachera de ma main. Le Père qui me les a données est plus grand que tous et nul ne peut rien arracher de la main du Père. Le Père et moi sommes un. »
Commentaire :
Lors de sa comparution devant le Sanhédrin (Lc 22 : 66), les Juifs demandent à Jésus de déclarer ouvertement s’il est le Christ. Jean rapporte ici l’incident mais dans un contexte différent. Les Juifs veulent mener à terme, quelle qu’en soit l’issue, de préférence la mort, l’interrogatoire public et leur grande polémique avec Jésus. La scène se passe durant la fête de la Dédicace.
Le contexte de ce morceau est donc nul autre que celui du procès engagé contre Jésus tout au cours de sa vie publique et qui ne se terminera que devant le tribunal des autorités juives. En ce chapitre 10e, Jean situe donc la mission du bon Pasteur dans cet interminable procès. Tandis que les uns acceptent et croient lui, les autres refusent son témoignage et cherchent un prétexte pour le condamner. Au sommet de la révélation, on ne peut plus claire pour qui veut l’entendre, se retrouve également le refus le plus catégorique. Qui est du nombre des brebis de Jésus reconnaît en ses paroles sa qualité de Messie, et dans ses œuvres il voit le Père témoigner pour son Fils. Le témoignage cependant ne force personne, chacun demeure libre de le récuser et de rompre avec le cheptel. Mais celui qui est du troupeau entend la voix du pasteur et le suit avec confiance ; sa parole le pousse à l’action dans un abandon total avec, comme récompense, la vie éternelle. Enfin qui demeure ainsi dans la main du Christ demeure dans la main du Père.
Trois affirmations épinglent donc les brebis du troupeau : elles écoutent la voix du Christ, celui-ci les connaît, elles le suivent et ne périront jamais. Mais qui sont ces brebis et pourquoi les désigner ainsi ?
« Mes brebis écoutent ma voix, » elles croient en ma Parole. Les brebis représentent l’homme ouvert et disposé à recevoir dans les paroles du Christ la Parole de Dieu même et à y adhérer de tout son cœur. Les vraies brebis vivent de cette Parole et selon cette Parole. C’est pourquoi, le Pasteur les connaît. Connaître ne signifie ici rien de moins que cette relation profonde de deux personnes en amour. La Bible utilise habituellement ce terme pour désigner l’union conjugale. Les brebis suivent le Pasteur ; l’écoute appelle l’action et la fidélité réclame une totale disponibilité : « Je te suivrai où que tu ailles. » (Mt. 8 :19) Entendre avec une foi confiante la parole du Christ et le suivre, c’est lui être uni par une union d’amour indissoluble mais aussi posséder le don promis, la vie éternelle. C’est pourquoi, ajoute-t-il, mes brebis ne périront jamais. » Le Fils a reçu du Père la mission de ne rien perdre de tout ceux qu’il lui a donnés (Jn 6 : 39) : « J’ai veillé sur eux et aucun d’eux ne s’est perdu sauf le fils de perdition. » (Jn 17 : 12) « Nul ne les arrachera de ma main. » Mais qui sont donc ces brebis, leur comportement une fois décrit ? Tous ceux évidemment qui entendent sa voix et le suivent : les croyants en marche dans la vérité et la lumière. Prenons conscience que ce tout ne se résume pas nécessairement à l’Église, comme l’affirme Bultman. Il peut se trouver des brebis à l’extérieur du bercail.
La suite nous présente le Père « plus grand que tout ». La preuve, c’est qu’il a confié ces brebis au Christ. Don incomparable du Père au Fils avec plein pouvoir. Les brebis sont en sécurité entre les mains du Fils parce que c’est le Père qui les lui a confiées. Le Fils dépend totalement du Père. Cela explique la phrase de conclusion : « Le Père et moi sommes un. » Cette dernière réflexion de Jésus résume en termes frappants ce que les déclarations précédentes donnaient à entendre. L’unité dont il est ici question concerne l’action du Fils en dépendance existentielle de son Père ; il ne peut s’agir d’union morale comme pouvaient en jouir les prophètes. C’est pourquoi les Juifs tentèrent de le lapider après de telles déclarations car par ces mots, Jésus s’affirmait l’égal de Dieu.
Si nous trouvions le courage de transposer ces mots en termes concrets et actuels : le Père, le Christ sans oublier Pierre et ses successeurs auquels il a délégué son pouvoir ! Ne nous trouverions-nous pas face à un dilemme assez compromettant pour ce 21e siècle ? Il est difficile d’aller jusqu’au bout de la pensée car pour nous aussi la contestation de l’Église et de son Pasteur constitue une tentation quotidienne. Alors…
Suspense de la tentation de foi.