Les pommiers sont en fleurs depuis deux jours de soleil. Le cerisier s’est réveillé, lui aussi, encore timidement, mais ça promet. Tout a commencé avec les magnolias. Ces deux-là s’excitent toujours avant tous les autres. Ils ont la fièvre en fleurs bien avant de se donner des feuilles. Ils ont communiqué le signal et la course aux parfums et aux couleurs a commencé.
Entre les arbres, dix couples d’amoureux goûtent la vie de ce beau dimanche après-midi. Ils préparent intensivement leur mariage pendant toute une fin de semaine. La sève de l’amour leur fait vivre un perpétuel printemps. À mille pas les uns des autres, ils se chuchotent des secrets comme s’ils craignaient que les arbres les entendent. On ne révèle jamais de secret autrement qu’en chuchotant. Le message est sacré: on ne le prononce pas n’importe comment, on l’écoute comme la plus belle musique du monde.
J’entends les vieux pessimistes rébarbatifs: «Ça ne durera pas, ces frissonnements printaniers!» C’est vrai que la poésie va devenir moins fébrile. C’est vrai que l’enchantement peut s’estomper. Mais laissez-leur l’enthousiasme, à ces tourtereaux! La poésie aussi fait partie du réel et le coeur en a besoin pour demeurer en santé. La poésie est parfois plus réaliste que les propos pragmatiques et froids d’un pseudo-pragmatisme qui paralyse le cours du temps.
Laissons ces colombes se fabriquer un rameau d’olivier avant qu’elles ne s’envolent à la conquête du bonheur. Laissons-les nous parler de paix à deux. Peut-être qu’elles peuvent nous donner le goût d’inventer la paix à mille, à millions et à milliards d’êtres humains. Pendant qu’on se méprise entre peuples, entre races, entre religions, elles chantent l’harmonie. Elles nous communiquent une image que nous ne devons pas perdre de vue même si la violence cherche à tout cacher.
Laissons les amoureux remonter le fleuve de la vie à contre-courant pour ne pas oublier d’où vient la source. Laissons-les nous rappeler le goût de l’eau fraîche alors que les vagues de la guerre nous font boire ad nauseam une eau amère et polluée.
L’on dira que ces fiancés sont réactionnaires. J’aime mieux penser qu’ils sont révolutionnaires, qu’ils ont entrepris l’offensive de l’amour. Défi difficile, énorme, risqué. Mais les vraies réalités sont toujours des risques, une plongée dans l’inconnu, l’entrée dans l’insondable mystère de nos libertés et de nos aspirations les plus profondes.
Ces temps-ci, je crains que nous perdions tout ce qui nous reste de confiance en l’être humain. Trop d’images crient la monstruosité. Vivement, les amoureux, exposez-vous à nos regards! Gardez bien haut la flamme qui vacille au coeur de l’humanité. Sans vous, le printemps n’aura plus ses odeurs qui donnent de l’élan à ceux et celles que l’hiver garde dans sa prison.
«Rendez-moi, rendez-moi mon ciel, ma musique
Ma femme sans qui rien n’a chanson ni couleur
Sans qui Mai n’est pour moi que le désert physique
Le soleil qu’une insulte et l’ombre une douleur»
(Aragon, Le Crève-coeur, Paris, Gallimard, 1941, p. 33)